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part, que l'accomplissement d'un rite traditionnel. (Applaudissements.)

Je sais, en particulier, que j'ai un premier et double devoir à remplir : saluer, d'une part, d'un dernier hommage et d'un sincère regret ceux de nos collègues qui ne sont pas revenus parmi nous et avec lesquels, que nous fussions ou non séparés d'eux pas des divergences d'opinions, nous nous plaisions à entretenir les plus agréables relations ; souhaiter, d'autre part, la plus cordiale bienvenue à ceux que le suffrage universel a choisis pour les remplacer et qui, je n'en doute pas, auront à cœur de rester fidèles à ces précieuses traditions d'estime, de sympathie et de courtoisie mutuelles. (Nouveaux applaudissements.)

En m'en tenant là, j'aurais rempli, je crois, l'essentiel de ma tâche ; mais trop de laconisme, risquerait peut-être d'être jugé un peu offensant, tandis qu'au contraire, votre doyen d'âge est toujours sûr de bénéficier de beaucoup d'indulgence, même s'il abuse du droit d'être prolixe et qu'il se considère comme un Nestor de circonstance, à qui une sorte de convention tacite permet de faire entendre, une fois par an, dans cette enceinte, ce qu'il croit la voix de la sagesse.

Je n'ai pas ici, par bonheur, à m'ériger, à l'exemple du roi de Pylos, en médiateur, encore mois en arbitre, puisqu'en ce moment, du moins, l'accord règne entre nous. Je m'abstiendrai même de formuler des avis qu'on ne me demande pas et je me bornerai à prononcer non pas un prêche dont vous n'auriez que faire, mais de simples vœux, ou plutôt un seul vœu qui les comprend et les résume tous, et qui est dans tous nos cœurs et dans tous nos espoirs : un vœu ardent, un vœu fervent en faveur de la paix (Applaudissements sur un grand nombre de bans.)

Il semble superflu de proclamer, une fois de plus, la ferme et unanime volonté de la France de la maintenir et de ne négliger aucun moyen de la sauvegarder. Nous qui pouvons mesurer, aujourd'hui encore, tout ce que la dernière guerre nous a coûté de larmes et de sang, qui gardons la vision d'épouvante des cadavres et des ruines accumulés pendant quatre ans, sur notre sol, qui compte parmi nous tant de mères, de veuves et d'orphelins en deuil, comment ne repousserions-nous pas, avec horreur, la perspective de nouvelles hécatombes, plus effroyables que les précédentes ?

Nous pourrions nous croire, il est vrai, garantis contre le retour de pareilles calamités, si les peuples étrangers étaient aussi sincères que nous dans les déclarations qu'ils multiplient, à l'envi, pour se défendre de toute intention agressive. Jamais, pourtant, la paix n'a paru plus précaire et plus en péril.

Farouchement retranchées dans leurs frontières, comme dans des bastions fortifiés, les nations ne se contentent pas de lutter entre elles à coups de tarifs douaniers, révélateurs déjà et générateurs, par surcroît, d'un état d'esprit de méfiance et d'hostilité des plus dangereux ; elles travaillent, en outre, avec une fébrile activité, à préparer les armements matériels qui, un jour ou l'autre, appuieront d'une sanction brutale l'efficacité de ces mesures préliminaires. Et d'un bout à l'autre de cette Europe, toute meurtrie encore, mais déjà oublieuse des atrocités hier, de cette Europe qui, depuis deux mille ans qu'elle se débat sur son lit de Procuste, n'a pu réussir à trouver la stabilité d'un statut définitif, retentit, plus haut et plus fort que les clameurs pacifiques ou que les plaintes éperdues de millions d'affamés, privés de travail et de pain, le bruit des usines où se forgent des engins diaboliques, destinés à vomir demain, sur des populations sans défense, l'incendie, le poison et la mort. (Applaudissements.)

Quelle pitié et quelle tristesse ! En face de ce débordement d'une folie collective incurable, on se remémore involontairement l'exclamation chagrine et amère par laquelle débute la huitième satire de Boileau :

De tous les animaux qui s'élèvent dans l'air,
Qui marchent sur la terre, ou nagent dans la mer ;
De Paris au Pérou, du Japon jusqu'à Rome,
le plus sot animal, à mon avis, c'est l'homme.

Faut-il dont désespérer de voir luire jamais le jour où, guéri de son absurde et criminelle démence, l'homme se résignera à employer à des tâches bienfaisantes et fécondes la vie si brève, si lourde, par elle-même de soucis, de souffrances et de misères, qui lui est avarement mesurée ici-bas ?

Cette paix internationale, cette paix universelle, que nous souhaitons pour le bonheur du monde, il est logique, il est nécessaire que nous commencions par nous en assurer le bénéfice à nous-mêmes, et, par conséquent, que nous l'instaurions d'abord chez nous.

Quelqu'un, faisant, un jour, un retour en arrière sur la période qui a précédé la guerre, a parlé « du temps où les Français ne s'aimaient pas »? Je me refuserais, pour ma part, à souscrire à un tel postulat, qui serait blasphématoire, s'il signifiait que nos concitoyens aient jamais pu nourrir les uns pour les autres des sentiments de haine. Mais il faut bien reconnaître qu'ils se sont rarement entendus entre eux. Bien avant notre ère, nos ancêtres, les Gaulois, de qui nous tenons les traits les plus saillants de notre caractère, préludaient déjà à ces lamentables querelles intestines, qui ont abouti à la facile victoire des 30.000 légionnaires de César sur les 300.00 guerriers indisciplinés de Vercingétorix et à la conquête de la Gaule par les Romains.

Je passe sur les débuts laborieux de la monarchie, où les roitelets qui se disputaient, au prix de furieux combats, la possession de la couronne et la maîtrise de notre sol, n'étaient que les chefs de nationalités à peine définies. Mais ce sont bien des Français qui, aux jours désastreux de la guerre de Cent ans, s'entr'égorgent, sans se soucier de la présence de l'Anglais, qui occupe cependant la moitié de leur territoire, et si Jeanne d'Arc, la vierge héroïque, n'était parvenue, en éveillant en eux, pour la première fois, la fibre du sens national, à les dresser contre l'envahisseur, c'en était fait de nouveau, et pour toujours peut-être, de l'indépendance de notre pays.

Un siècle plus tard, quand, à peine remise de cette rude secousse qui a failli lui être mortelle, la France se reprend à respirer, éclatent, plus terribles encore, les guerres de religion, qui la laissent pantelante, épuisée et couverte de ruines.

Puis cent ans s'écoulent, qui ne sont qu'un trêve, et c'est la Fronde, guerre en dentelles, si l'on veut, mais c'est aussi la reprise des luttes confessionnelles, la révocation de l'édit de Nantes, la révolte des camisards et les dragonnades des Cévennes.

Au déclin du dix-huitième siècle, de cette époque, qui, au dire de Talleyrand, avait connu la douceur de vivre, survient la grande Révolution, avec les holocaustes de la Terreur, les épisodes épiques et cruels de la guerre de Vendée, suivis, en 1814, dans nos provinces méridionales, des réactions et des représailles de la Terreur blanche.

Que sais-je encore ? Citerai-je les événements plus proches, plus vivants dans le mémoires, du siècle dernier : les journées de juillet 1930, les Trois Glorieuses, qui n'ont malheureusement pas été que l'anodine revanche du drapeau tricolore sur le drapeau blanc, celle de juin 1848, celle de mai 1871, marquées, les unes et les autres, par le sacrifice d'innombrables victimes ?

Il n'est, pour ainsi dire, pas une page de notre histoire qui ne soit maculée de sang et qui n'apporte son sinistre contingent au nécrologe des milliers de milliers de Français, immolés par la rage fanatique de leurs compatriotes.

Depuis soixante ans, il est vrai, des scènes pareilles à celles dont notre passé offre de trop nombreux et peu glorieux exemples, ont cessé de se renouveler, et on ne peut que souhaiter que la longue série en soit close à jamais. Mais il ne suffit pas que les mains aient déposé les armes ; il faut qu'elles se tendent et se serrent dans une étreinte fraternelle.

Il est consolant et encourageant de constater que, dans la campagne électorale qui vient de se terminer, tous les partis, sans exception, qui sont représentés sur les bancs de cette Assemblée, ont fait appel, dans les termes les plus chaleureux et les plus pressants, à la réconciliation française. Jamais, peut-être, jusqu'à ce jour, ils ne s'étaient rencontrés dans cette unanimité émouvante ! Puisse-t-elle se maintenir durant les quatre années de la législature qui s'ouvre sous d'aussi favorables auspices, et produire les fruits qu'on est en droit d'en attendre !

On disait autrefois que la France, si généreusement, si magnifiquement dotée par la nature, était le plus beau pays qui fût sous le ciel. Elle le serait toujours, et elle serait, par surcroît, le plus prospère et le plus grand si, en demeurant passionnément attachée à la pratique de la liberté, qui, elle aussi, lui a coûté cher, et qui n'est pas un moindre bien que la paix, qui en est même la condition primordiale, elle cessait de se déchirer elle-même, et si ses enfants, au lieu de continuer à se battre, consentait enfin à se rapprocher à s'unir.

Il vous appartient, mes chers collègues, de faire de ce rêve grandiose une réalité qui vous sera un titre impérissable à la reconnaissance de vos concitoyens. (Applaudissements prolongés sur un très grand nombre de bancs.)


— 3 —
EXCUSE ET CONGÉ

M. le président. M. Pécherot s'excuse de ne pouvoir assister à la séance de ce jour et demande un congé.

Conformément à l'article 129 du règlement, le bureau est d'avis d'accorder ce congé.

Il n'y a pas d'opposition ?...

Le congé est accordé.


— 4 —
TIRAGE AU SORT DES BUREAUX

M. le président. Conformément à l'article 1er du règlement et à l'ordre du jour, il va être procédé au tirage au sort des bureaux.

(L'opération a lieu.)