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« On se fâcherait à moins, et j’approuve les jaguars, bou dieou. D’un seul bond, ils sont tous à l’eau et nagent vers la pirogue.

« — Té, je dis, c’est bien fait. Maintenant, Francis, aux rames, et tâche que ces dignes bêtes ne t’attrapent pas, car elles te croqueraient comme mauviette.

« Hélas ! les Canadiens, c’est têtu comme des anchois.

« — Pas besoin, répondent-ils tous les deusses, les gavials sont là.

« Et ils montrent des espèces de solives rugueuses, qui flottent à la surface de l’eau.

« Des solives, si ça fait pas pitié, bou dieou !

« Il est vrai que ces solives se mettent soudain à nager comme père et mère ; bon, les solives, elles sont des crocodiles ; et les jaguars entourés, dépecés, tout vivants, disparaissent au milieu des eaux, rougies de sang.

« Ce qui prouve que la justice, elle est pas de ce monde. Voilà de pauvres bêtes féroces que Francis fusille, et elles sont mangées par les gavials. »

Tout le monde riait maintenant. Jean lui-même oubliait son anxiété.

Quant aux bandits, ils considéraient le Provençal avec une stupeur voisine de l’admiration. Jamais ils n’avaient rencontré personnage appréciant les choses avec cette fantaisie intarissable.

Perdu dans le Gapo, étant en somme dans une situation qui décourage, annihile, brise les caractères les mieux trempés, Massiliague n’avait pas abandonné un instant son humeur joyeuse.

Il semblait presque n’avoir pas eu conscience du danger. Privilège précieux de l’homme né au pays du soleil et de la galéjade. Toute idée se présente gaiement à son esprit. Une barque marseillaise ne fait pas naufrage ; si elle coule, c’est pour montrer aux marsouins comment l’on plonge.

Le Marseillais consent à mourir… par galanterie pure ; parce que la mort est une belle dame, un peu tyrannique, qu’il ne faut pas faire attendre.

Enfin, dites à un citoyen de la ville provençale