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« Alors, je lui dis :

« — Attends un peu. Ça serait la première fois qu’un Marseillais ne trouve pas le joint pour sortir d’embarras.

« Et je le priai de chasser ses idées noires.

Sous leur forme fantaisiste, les paroles de Scipion avaient je ne sais quelle douceur. Elles caressaient, pansaient les blessures. Elles décelaient esprit fantasque et bon cœur, chez celui qui les prononçait.

— Alors j’en arrivai à penser : Mon brave, t’as pas besoin de tous ces rameurs de couleur. Va bien ! Quand tu canotais sur le port tu n’avais pas de nègre, et pour cause ; d’abord parce que le bois d’ébène (les noirs), il manque à Marseille, ensuite parce que les hommes de la Joliette ou du Vieux Port sont les premiers rameurs du monde, et qu’ils confieraient pas un aviron à ces coquins mal cirés.

« Dès lors, j’achetai une, pirogue, fanfarogue, et je dis :

« — Mon bon, je t’embarque ce soir.

« — Mais qui nous guidera ?

« — Moi.

« — Vous ne connaissez pas le Gapo.

« — Ma caille, que je réponds, un Marseillais, il connaît tout. Le Gapo, il égare les Brésiliens, possible ! Mais un citoyen de Marseille, tu me fais rire. Le Gapo, il a qu’à se bien tenir.

« Il n’était pas persuadé, cet homme du Nord. Seulement, le pauvre, il avait une telle envie de partir, qu’il assepta tout de même.

« Et ! troun de l’air, au beau milieu de la nuit, nous nous rendîmes à l’embarcadère ; sans être vus de personne, nous filâmes à toute vitesse.

— Vous ne vous êtes pas égarés, s’écria Jean, qui, malgré ses préoccupations, se sentait entraîné par la bonne humeur insouciante du causeur ?

— Pas une minute, mon bon, et pour une raison bien simple. Du moment où on met le pied dans un labyrinthe, on est égaré. Dès lors on cherche son chemin, et chaque heure ne peut qu’améliorer la situation, hé donc !