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LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

bles) ; les colons européens les dénomment gavroches jaunes.

Et soudain une grande bousculade se produisit. Hommes, femmes, enfants, se jetaient de côté, s’effaraient, se bousculaient, se renversaient, cherchant à fuir ; les deux petits ouvriers regardent stupéfaits, isolés au milieu d’un vaste espace libre aux limites duquel hurle la panique.

Qu’est-ce donc ? La réponse arrive en bondissant par-dessus les groupes effarés. Deux panthères noires, aux mouvements rapides, semblent voler sur le peuple éperdu.

— Oh ! fait Sourire ; les pauvres petites… elles se livrent.

— Nous les défendrons, riposte résolument le jeune garçon.

Mais les félins arrivent, ils se roulent câlinement aux pieds des orphelins, avec des rauquements aimables, des ronronnements satisfaits.

Et la foule, qui regarde maintenant, est médusée de voir des enfants caresser les terribles animaux, les serrer dans leurs bras, baiser leur mufle, sans souci des dents aiguës, des griffes acérées.

Qu’est-ce que cela veut dire ? D’où vient cette familiarité insoupçonnée des diells, des gavroches, avec ces panthères qui, sans nul doute, sont colles que laissa échapper naguère la ménagerie de passage ?

— Apprêtez… armes ! À ce commandement, qui résonne menaçant sur le quai, tous tressaillent.

Le gouverneur en personne, Fousse von Lap est là, avec un peloton de soldats coloniaux allemands, dont les fusils brillent au soleil.

D’un même mouvement, les enfants sont debout, tenant dressées contre leur poitrine les panthères qui, dans cette position, sont de même taille qu’eux.

— Non, non, ne faites pas de mal à Fred et à Zizi, crient-ils.

— Fred, Zizi, répètent les assistants que la belle tranquillité des petits a rassurés.

— Oui, nos amies, les gros chats noirs.

— Les gros chats noirs !

Il y a un moment de stupeur. Joyeux, Sourire n’ont donc pas conscience de la férocité des carnassiers. Ils les prennent pour ces pacifiques et tranquilles commensaux du foyer, qui chassaient les souris à une