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LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

— Oui… oui… Moi, je ne comprends rien à ces sublimités de l’honneur… J’aimerais mieux être déshonorée vingt fois et te voir vivant… entendre ta chère voix, rencontrer ton bon regard…

Il voulut protester… Elle lui mit la main sur la bouche…

— Ne parle pas… c’est inutile… être duchesse, pour moi, c’est une parure, un manteau de cour que l’on jette sur ses épaules pour le bal ; mais sous le manteau armorié, il y a une petite bourgeoise qui défendra son mari envers et contre tous et tout… C’est stupide, soit ! Cela n’a pas bon genre, soit encore !… Ce n’est pas ma faute ! Je suis entrée dans l’uniforme de duchesse, comme un promeneur entre dans un parc ; c’est très joli… mais avant cela, il y a la rue par laquelle on a passé, la maison d’où l’on est sorti, la maison à l’atmosphère douce, enveloppante, affectueuse. On s’y est développé, on y a grandi, on y a pris une âme spéciale que l’on conserve en dépit de tous les raisonnements, de tous les titres.

Et comme il essayait encore de parler, ses jolis doigts se crispèrent sur les lèvres du duc.

— Non, tais-toi… tu me dirais des méchancetés… Tiens, écoute… Si le sieur Log m’envoie encore sur la côte, en mission… j’irai… mais je me jetterai sous une voiture, un tramway… je serai morte…

— Mais je ne veux pas, chère petite folle, réussit à prononcer Lucien, bouleversé par ces paroles.

— Si, si, fit-elle obstinée… Comme cela ton honneur sera sauf… et puisque l’honneur est tout pour toi, il te consolera de mon… départ, tandis que moi, si je me révoltais, si je causais ta mort… Ah ! vois-tu, c’est affreux pour une duchesse… c’est là que je vois combien je suis duchesse de pacotille… l’honneur ne me consolerait pas.

— Non, non, ne pleure pas, ma mignonne.

— Le moyen dans une situation pareille ?… Il faut que je tue ou que tu me méprises.

— Mais, non.

— Pourtant tu disais…

— Je disais… qu’il faut réfléchir, trouver une solution…

— Laquelle ?

Les larmes de Sara avaient cessé de couler. Soudain, ainsi qu’un rayon de soleil sur la campagne