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LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

l’autre reste debout sur la plate-forme d’arrière, une longue perche à la main.

Sara, un peu étourdie, s’appuie sur l’épaule de sa jeune compagne dont le bras enlace sa taille.

Un instant, elle ferme les yeux. Dans sa sensitivité aiguë, encore malade, elle perçoit comme une caresse le glissement du canot sur l’eau d’émeraude que le soleil bossue de clapotis d’or.

Enfin elle relève ses paupières… Un émoi très doux bruit dans sa voix.

— Vous aviez raison, Mona, c’est exquis.

Le sampan est maintenant au milieu du chenal. La perche, les rames, sans secousses, le poussent, l’entraînent en une course rapide sur la route moelleuse.

On descend vers la mer. La ville française, les faubourgs restent en arrière ; maisons ou cahutes s’espacent au milieu de jardins, de cultures… Et puis des promontoires boisés cachent l’agglomération.

Plus de bruit de foule, plus de cris de coolies. Le silence des champs, troublé seulement par le passage d’un remorqueur au panache de fumée noire.

À longs traits, la duchesse aspire l’air, imprégné de senteurs salines. Comme Mona a bien fait de la forcer à descendre du pousse-pousse ! Elle a conscience que la vie, la santé, lui reviennent à flots… Bien certainement, demain, le docteur permettra sa visite à l’hôpital, où son blessé bien-aimé l’attend et songe à elle, comme elle songe à lui.

Mais elle s’inquiète. On s’éloigne beaucoup, lui semble-t-il…

— Jusqu’où allons-nous donc ?

Mona cherche une réponse… Mais le rameur a sans doute entendu, car il abandonne un instant les rames, pour designer, en avant, un îlot qui semble un bouquet de verdure jeté au milieu du fleuve.

— Jusqu’à cette île.

Et Sara regarde l’îlot qui grandit.

— Des fleurs ! des fleurs !

Oui, c’est un énorme massif de Bou-Minh, arbres prodigieux, dont le tronc de soixante pieds de haut porte un feuillage vert, jaune, fauve, dans lequel des fleurs mauves se détachent en grappes de deux mètres. C’est la merveille de la flore tonkinoise, et la petite duchesse bat des mains.

Vraiment il fait bon vivre en ce jour.