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LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

— Je suis une fille noble de Russie, vous êtes duchesse de France.

— Duchesse ! balbutie Sara, Duchesse !

Il y a de l’égarement dans son geste. Et Mona Labianov poursuit d’une voix brisée, plainte d’une âme en agonie :

— Mon cœur tout entier est à Dodekhan, comme le vôtre appartient à M. de la Roche-Sonnaille ; ma sœur, ma sœur de souffrance, appuyons-nous l’une sur l’autre pour accomplir le sacrifice.

Le sacrifice ! Les yeux de la petite duchesse restent secs, mais toute sa personne sanglote.

Va-t-elle jeter à terre le parasol rouge ? Va-t-elle par ce geste menu déchaîner la catastrophe ?

Oui, l’honneur le veut !

Cette pensée résonne en son cerveau, jaillie soudain des profondeurs de son être.

Elle jette ses bras en avant pour la repousser.

Geste vain. La voix qui a prononcé la sentence n’est point autour d’elle, mais en elle, l’ayant pénétrée déjà… et cette voix s’enfle, se fait plus impérieuse… Elle commande :

— Duchesse, tu dois conserver intact le legs d’honneur que t’ont transmis trente générations sans tache.

Sara se tord sous la terrible pression morale. Elle tend ses nerfs à les briser dans une suprême résistance.

Elle n’est pas la duchesse de la Roche-Sonnaille. Elle est la petite Sara Lillois, duchesse par alliance, au hasard d’un mariage.

Instinctivement, dans sa détresse morale, la jeune femme s’est approchée du rebord de l’escarpement ; elle plonge son regard dans le défilé.

Les prisonniers sont au milieu de leur escorte de gardiens.

Et Sara a l’impression lancinante que les yeux de Lucien se fixent sur elle, lui intimant l’ordre qu’elle ne veut pas exécuter, qu’elle ne veut pas comprendre.

Elle se rejette en arrière. Elle ne veut plus voir les captifs, leurs gardiens.

Et d’un accent angoissé, Mona, debout à l’extrême pointe de la plate-forme, sur l’abîme, prononce :

— Quelques minutes encore… il sera trop tard.

Elle s’est redressée, la frêle jeune fille ; elle couvre