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L’HOMME SANS VISAGE

pousse. Pourtant, ce silence dure à peine une seconde.

Une traînée lumineuse perce l’obscurité. C’est le même pinceau de rayons projetés par une petite lanterne électrique de poche.

Et sous la clarté, je distingue le comte de Holsbein, debout, la chaînette de la bola à la main, et à ses pieds un paquet d’étoffe… une robe que j’ai vue tantôt encore…

Niète… J’avais bien reconnu sa voix. C’est Niète que son père, la prenant pour X 323, a abattue d’un coup furieux de son arme barbare.

Et puis une détonation claque dans le souterrain. L’espion pousse un han ! et s’abat à terre, les bras en croix, le front troué d’une balle de revolver.

Il vous est arrivé certainement de vous couper fortement… Avez-vous remarqué que la douleur ne se perçoit qu’un bon moment après la blessure reçue ?

Je pense qu’au moral il en est de même, car à ce moment, je n’éprouvais ni douleur, ni aucun sentiment autre.

Il y avait un engourdissement de mon réseau nerveux distillateur des tortures humaines.

Machinalement, je suivis du regard le rayon électrique. À son origine, je reconnus avec stupeur l’uniforme des gardiens du Musée porté par un homme petit, râblé, entre deux âges ; l’air et l’attitude d’un ancien soldat.

J’allai à lui et avec un sang-froid inconcevable en pareille circonstance :

— J’étais ici pour prévenir le crime qui vient de s’accomplir.

L’homme ne me laissa pas achever.

— Ah ! ça ! Il faut donc que je vous trouve partout, fit-il d’un ton bourru. Mais changeant aussitôt le timbre de sa voix… Vous connaissiez donc l’existence de la lettre envoyée à M. de Kœleritz ?

— Oui, et le guet-apens qui vous était tendu.

J’avais compris que j’avais devant moi X 323, sous un nouvel aspect, ne rappelant en rien ceux sous lesquels je l’avais rencontré précédemment.

Il s’était baissé sur le corps du comte de Holsbein.

Il se releva, une enveloppe à la main, et d’un ton où vibrait une joie profonde :

— J’ai les documents… Il les avait cachés ici, dans ces vieilles armures de tueurs de Maures.

Et me saisissant par le poignet :

— Arrivez, Max Trelam. Mon coup de revolver va amener tout le personnel de nuit de l’Armeria. Inutile que l’on nous trouve ici.

Je résistai… la sensation terrible de la vérité commençant à se faire jour en mon cerveau.

— Mais Niète ?…

— Eh ! n’avez-vous pas entendu le coup… Le crâne a été brisé… Pauvre gamine !

Avec une force irrésistible, il m’entraîna dans l’escalier. Presque courant, nous parcourûmes le couloir souterdain… Dix minutes après, nous sortions du Puits du Maure.

À quelque vingt mètres de la Taberna Camoëns, une voiture stationnait.

X 323 me la montra.

— Dans une heure, le rapide de nuit m’emportera vers Londres. Dès demain vous pourrez conter au Times ce que vous avez vu…

Et avec une émotion soudaine :

— Pauvre Max Trelam ! Travaillez… travaillez… Le travail seul sauve de l’idée persistante qui broie sans trêve la pensée…

Il courut à la voiture ; la portière s’ouvrit. D’un bond il disparut à l’intérieur et le véhicule partit aussitôt.

Au passage, réalité, hallucination, le sais-je, il me sembla apercevoir derrière la glace du coupé, la physionomie de la marquise de Âlmaceda.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Deux jours après, dans l’église de Santa Cruz, appelée aussi Saint-Thomas, les prêtres chantaient les adieux liturgiques sur deux cercueils, dont l’un était drapé de blanc.

Le corps du comte de Holsbein Litz-