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Elle comprit leur pensée, et doucement :

— Vous songez, messieurs, qu’à l’ordinaire, une señorita doit s’évanouir devant un cadavre. Eh bien, je ne suis pas ainsi… La mort ne m’effraie pas… Pourquoi suis-je différente de la plupart des charmantes Parisiennes qui m’ont accueillie dans cette belle cité ? Est-ce parce que nous avons vécu seules, ma mère adoptive et moi, dans notre vieux château ruiné de Armencita ?… Ruiné, oui, car nous étions pauvres, alors… Un seul domestique, notre vieux Patricio, auquel nous ne pouvions payer ses gages… Et quand il partait aux provisions, je devenais la garnison du château… À dix ans, armée d’un mousquet plus grand que moi, je veillais sur maman, sur ma peureuse, comme je l’appelais… et ce mousquet que je soulevais avec peine, a bien souvent éloigné le gitano pillard et l’errant (bandit) de la sierra.

Elle acheva avec un ravissant sourire :

— Le mousquet, vous le savez, messieurs, fait bien souvent le mousquetaire. C’est probablement ce qui est arrivé pour moi.

Durant un instant, il se fit un lourd silence.

Ni M. Lerenaud, ni Allan, ne trouvaient le mot nécessaire à renouer l’entretien.

Tous deux se sentaient pris par l’originalité de la jeune Espagnole.

Ils s’attendaient à rencontrer deux femmes éperdues, et au lieu de cela, se dressait une créature charmante, au tranquille courage, à la gaieté si robuste qu’elle transparaissait encore dans les tragiques circonstances actuelles.

Involontairement, ils levèrent les yeux sur le corps raidi dans le fauteuil, et par un effet réflexe, le front de la jeune fille se rembrunit.

— Oui. dit-elle entre haut et bas, c’est de cela qu’il faut parler.

La phrase rappela le chef de la Sûreté à lui-même.

— Vous avez raison, mademoiselle.

— Oui, reprit-elle, un éclair dans ses beaux yeux…

Il faut le venger, me venger aussi.

— Vous venger, vous ?

— Sans doute… N’y a-t-il point à votre avis, une conspiration dont je suis victime ?

— Si, si, la conspiration existe, s’écria Pierre, incapable de se contenir plus longtemps. Et si je suis là, c’est que je veux combattre l’ennemi inconnu, dussé-je y laisser la vie.