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voir, en quelques répliques, dépouiller d’une mère et d’une nationalité.

— Pas Espagnole ! susurrèrent les auditeurs.

— Non, reprit Marahi, tu es née bien loin, dans le pays du soleil. Ton père était de race franque, ta mère était la parente pauvre d’un riche Yankee. Tu seras riche, ta richesse actuelle n’étant que pauvreté, par comparaison.

— Mâtin, remarqua l’un des auditeurs, la sorcière se montre généreuse.

Mais l’ironie n’éveilla aucun écho. Marahi continuait :

— De l’or, des propriétés immenses… Je les vois, là-bas, sous la clarté aveuglante, entre deux mers, s’étendant plus vastes que dix départements de ce pays de France.

— Mais ces parents dont vous parlez ? s’écria la jeune fille, oubliant que deux cents yeux se fixaient sur elle.

— Ta mère vit…auprès de son cousin, le riche Américain.

— Elle vit… mais mon père… ?

— Il est mort, assassiné par ceux qui t’arrachèrent tout enfant à ta famille, qui te poursuivent encore à cette heure.

Plus personne ne songeait à plaisanter.

L’émotion étreignait les auditeurs. Songez donc, cette jeune fille aux six fiancés frappés par des criminels inconnus… Et, de plus, enfant volée aux siens, dans une nuit de crime.

Le feuilleton le plus audacieux était dépassé.

Et l’héroïne de ce roman apparaissait auréolée par une douleur surhumaine, adorable et touchante.

— Je reverrai ma mère ? balbutia-t-elle d’une voix éteinte.

On eût entendu une mouche voler. Chacun retenait sa respiration pour percevoir la réponse de la voyante.

— Oui, bientôt, fit doucement celle-ci.

Il se produisit un mouvement dans l’assistance. La nervosité trop longtemps contenue demandait à s’exprimer.

Un bourdonnement de remarques, de réflexions échangées au hasard, emplit les salons.

L’Indienne profita de cet instant.

Sa main quitta le front de la jeune fille, s’abaissa à hauteur de ses yeux.