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Au dessert, Chazelet avait recouvré tout son aplomb ; il se sentait de nouveau le pied parisien.

Et, par contre-coup, les fumées de légende qui obscurcissaient les aventures d’Espagne, se dissipaient, ses idées se clarifiaient en quelque sorte.

— Je vais faire appeler une voiture, proposa Morand.

— Non, la soirée est superbe. Marchons. J’ai un tel besoin de fouler l’asphalte après mon exil espagnol.

— Marchons donc.

Les deux omis quittèrent le palais d’Orsay et, suivant les quais, déambulèrent en flâneurs dans la direction du pont de la Concorde.

Morand racontait à son ami les détails de la vie de Paris, durant son absence. Il ne manquait pas d’esprit, son récit s’émaillait de locutions et d’aperçus originaux. Pierre l’écoutait avec plaisir.

Il fut brusquement rappelé au but de son retour dans la capitale.

Une bande de crieurs de journaux déboucha du pont de la Concorde. Ils brandissaient des feuilles encore humides de l’imprimerie.

Ils clamaient avec ces organes inénarrables dont les camelots ont le secret :

« Édition spéciale !… curieux détails… La sixième victime de la Fiancée du Diable ! »

— La sixième, remarqua le médecin d’un ton indifférent… Cela devient tout à fait intéressant.

Et il se tourna vers son compagnon avec l’intention de le mettre au courant. Pour lui, en effet, Chazelet devait ignorer la singulière fatalité poursuivant Linérès de Armencita, et dont tout Paris s’occupait autant qu’il lui est loisible de s’occuper de quelque chose.

Mais il le vit ayant arrêté un camelot, prendre un journal, le parcourir et demeurer immobile, comme anéanti, le papier frémissant entre ses mains tremblantes.

Il s’empressa :

— Qu’as-tu ?

De l’index, Chazelet lui désigna la manchette en caractères énormes, puis un article des échos mondains. La manchette disait :

« La série noire continue. — Encore la Fiancée du Diable ! »