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rait. Alors, d’où vient l’intervention de la police ? Strig et Clock sont morts. Eux seuls savaient le gîte… Strig a conduit le tombereau à la rivière, c’est vrai… ; il a rapporté le gin ; mais il n’avait pas bu… Non, non, il n’était point ivre ; il n’a donc pas parlé… Clock, lui, est resté avec moi… Les autres, des coquins vulgaires, ignoraient mes projets, la retraite que j’avais en vue. Alors, qui accuser ?

L’audace d’un bandit est rarement doublée d’un courage équivalent.

C’est que l’audace suppose l’espoir de vaincre, et disparaît avec la défaite, tandis que le courage subsiste jusqu’au bien mourir.

Kan-So dut appeler à lui toute son énergie pour se rendre à la cinquième et dernière issue des carrières. Comme les autres, celle-ci était surveillée.

Ses dents claquant sous l’empire d’une terreur incoercible, ses genoux pliant sous lui, le Chinois regagna la salle où il avait laissé ses complices. La vue des cadavres immobiles redoubla ses transes.

— Oh ! gronda-t-il d’une voix affolée. Ils me narguent.

Il se dressa, hagard, apostrophant les morts :

— Oh ! ne riez pas ! Ne riez pas !… Ou craignez ma colère… On ne se moque pas impunément de Kan-So.

Il se campait en face des cadavres, les bravant du geste. Une teinte rouge montait à sa face safranée, ses yeux avaient des lueurs étranges.

— Malgré vous, j’aurai l’or, tout l’or de l’Oil Bank… vous dites ? On va me prendre ?… Non… J’échapperai… ; mes mesures sont trop bien prises… ; j’échapperai… Oh ! Strig, ton ricanement m’agace… Prends garde… Tant pis pour toi !

Et affolé, hors de lui, le Chinois se rua sur le mort. Ses poings fermés s’abattirent sur le visage livide. Sous la poussée brutale, le corps bascula et roula sur le sol avec un bruit mat.

— Assommé ! hurla Kan-So, en proie à un délire soudain… Rien ne me résiste… Je suis fort ! Je suis le plus fort des hommes… Tout se courbe devant moi… J’ai de l’or ; de l’or, de l’or… Quoi ? Clock, tu veux ta part ? Arrière, chien ! tout est à moi, à moi seul… Tiens ! Tiens ! Tiens !

Des pieds, des poings, le lieutenant de Frey frappa le bandit immobile pour toujours, et le jeta à côte de son compagnon.

Alors, il se prit à danser, à sauter, clamant d’une voix qui s’essoufflait de plus en plus :