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à lire, à écrire, à compter. À présent, je gagne ma vie, je comprends que tu m’as tirée de la boue, que tu m’as donné la possibilité de l’existence honorable, peut-être heureuse. Tout ce que j’ai de bon me vient de toi.

Elle fit une légère pause, comme pour triompher d’une dernière hésitation.

— Tril m’a glissé à l’oreille que le moment était venu où l’on pourrait se dévouer pour toi.

— Tril est un affreux bavard, je le gronderai à la première occasion.

— Non, non, supplia-t-elle. Tril sait mes pensées, il a voulu me donner joie et contentement… Et je viens, je viens te supplier de ne pas oublier Suzan dans le danger. Pardonne-moi. Tous t’aiment, tous voudraient se sacrifier pour toi… Ils ignorent encore, je prends l’avance. Roi, fais que si quelqu’un doit mourir pour toi, ce soit Suzan.

Dans la voix de la fillette, il n’y avait pas trace de déclamation. Elle parlait avec une simplicité absolue, exprimant les choses comme elles se présentaient à son esprit.

Jud Allan se sentit touché jusqu’au fond du cœur.

— Oh ! murmura-t-il, oui, nous vaincrons… La tendresse aura raison de la haine.

Et comme Suzan répétait, suppliante autant que si elle avait sollicité une faveur : « N’est-ce pas, s’il faut mourir, tu donneras la préférence à Suzan », il éleva la petite dans ses bras, fit sonner deux, baisers sur ses joues pâles, et, doucement :

— Oui, petite Suzan, je t’assure la préférence… ; mais je ne veux pas que l’on meure pour moi.

Il avait reposé l’enfant à terre. Elle éclata en sanglots.

— C’est le bonheur, déclara-t-elle au milieu de ses larmes… le bonheur… Tu crois que je puis être utile… Ah ! quel bonheur !

Un quart d’heure plus tard, Tril était de retour, rapportant l’assurance que M. Loosevelt se conformerait à la requête de Jud Allan, en conservant néanmoins l’espérance que le jeune homme pourrait prochainement faire appel à son concours.

Le président lui adressait en même temps la prolongation pour une année du congé que le professeur avait obtenu avant son départ en Europe.

Renouvelant ses recommandations à Tril, en vue de l’assemblée des lads de la nuit suivante, Jud quitta alors le syndicat.