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spacieux réservé aux dîners d’apparat, il s’étonna de s’y trouver seul.

Il s’informa au domestique particulier du milliardaire.

— M. Frey Jemkins ?

— Sorti depuis une heure. Rendez-vous d’affaires importantes…, à ce que j’ai cru comprendre.

— Et miss Linérès ?

— Je ne sais pas, monsieur. Si Monsieur le désire, je puis m’enquérir auprès de la femme de chambre.

— C’est cela…

Distraitement, il grignote une ou deux rôties humectées de thé.

Le domestique reparaît, accompagné par la femme de chambre de la jeune fille. C’est une jolie personne, un peu commune d’aspect peut-être, mais attrayante néanmoins que Ruthie, miss Ruthie, comme on la nomme à l’office.

Elle a des prétentions aux belles manières, au langage fleuri. Cela est tout naturel, elle a appris le service dans la maison d’un directeur d’Université.

— Il ne fait pas encore jour chez miss. Miss n’a point sonné. Dans cette occurrence, je n’oserai prendre sur moi de troubler son repos.

— Oh ! ne le troublez pas… J’attendrai.

De la main, Pierre congédie la servante.

Par bonheur, l’entrée de Mme de Armencita le distrait quelque peu, bien que la vieille dame s’absorbe dans la confection de sandwiches au jambon, qu’elle fait disparaître avec une prestesse merveilleuse.

Pierre se surprenait à envier sa belle tranquillité, quand un carillon inattendu le fit sursauter.

Une sonnerie électrique tintait follement au premier étage, où, l’on s’en souvient, étaient les chambres à coucher.

Il y eut des exclamations, des cris effarés. Puis une dégringolade éperdue dans l’escalier, et, sur le seuil, rouge autant qu’une pivoine, la face égarée, le geste dément, la femme de chambre Ruthie se montra, clamant d’une voix étranglée :

— On a changé ma maîtresse ! On a changé ma maîtresse !

Mme de Armencita avala d’une bouchée le sandwich commencé. Quant au marquis, il s’était levé.

— Qu’y a-t-il donc ?

Ruthie étendit désespérément les bras à droite et à gauche.

— On a changé ma maîtresse.