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sait de quelques mots pour reprendre empire sur celui qui l’écoutait.

— Dans ta pensée, dit Ramrah, dort l’image de la jeune fille aux yeux d’étoiles… Veux-tu que je force ton esprit à te révéler ses traits ?

Quoi qu’il en eût, Pierre ne put réprimer un tressaillement à cette question si précise.

— Le pourrais-tu ?

— Réponds, au lieu d’interroger. Le souhaites-tu ?

— Ma foi, oui.

— Bien.

D’un sac de toile qu’elle portait en bandoulière sous sa cape, la vieille femme tira une plaque de métal poli, affectant une forme ovale, de la dimension des portraits-miniature si appréciés de nos aïeux du dix-huitième siècle.

— Prends cette plaque, murmura-t-elle, et tiens-la un instant entre tes mains, afin que ton fluide vital la pénètre.

— Qu’est-ce cela ? demanda curieusement le marquis, tournant et retournant le mince disque qui semblait fait de nickel poli.

— C’est le miroir magique.

— Ah ! ah ! j’aime l’appellation.

— Tu l’aimeras plus encore tout à l’heure. Mais emprisonne-le entre tes mains, si tu désires sonder le mystère de ta pensée.

Chazelet obéit. Au fond de lui-même, bien qu’il s’efforçât de n’en laisser rien voir, une curiosité intense grandissait.

Deux minutes, les interlocuteurs demeurèrent immobiles, silencieux. Après quoi, la Gitane murmura :

— Donne-moi le miroir.

Elle le prit, l’appliqua sur le front du jeune homme devenu grave, et avec autorité :

— Ordonne à ton esprit de te faire connaître celle qu’il voit, lui. Ordonne de toutes tes forces, de toute ta volonté.

— Oui, sarpejeu ! je veux la connaître.

— Ne parle pas… Songe seulement à vouloir.

Le front de la bohémienne se plissait de rides profondes. Sur ses tempes, les veines se gonflaient, telles des cordes bleuâtres, ses yeux flamboyaient et ses lèvres, agitées de palpitations rapides, semblaient livrer passage à la foule obscure des incantations.

Le marquis ne songeait plus à rien.