Page:Ivoi - Jud Allan, roi des gamins.djvu/17

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nues des autres mortels. Le mystère est en eux ; il fait partie de leur être. Ils ont la forme des hommes, et ils sont plus que les hommes, car ils ont conscience de ce qui échappe au reste de l’humanité. Ils voient ce que les regards ordinaires ne sauraient distinguer ; des voix, imperceptibles pour d’autres, vibrent à leurs oreilles. Et tandis que le troupeau des créatures oscille interminablement entre le doute et la foi, entre le désir de croire et celui de nier, dans une pénombre où rêves et réalités se confondent inextricablement, les zingares, eux, sont demeurés immuables, car dès le commencement, ils savaient que le mystère est.

Le ton de la pythonisse en haillons s’élevait par degrés.

— Ils ont toujours vécu dans ce mystère. Ils ignorent les causes, parce que la cause est un infini insondable, mais ils ont pris l’habitude de déchiffrer les hiéroglyphes que cette cause a tracés sur nous-mêmes, afin que les sages puissent diriger leur marche.

Elle serra fortement les doigts du marquis.

— Ces lignes qui s’entre-croisent à l’intérieur de ta main, toi, roum (tout individu non zingare) superficiel, tu les juges tracées par le hasard ; nous, nous savons par nos pères quels sont les caractères d’une écriture mystérieuse, dont le sens est, pour nous, aussi facile à lire que ceux des livres frivoles où se complaisent tes heures d’oisiveté. C’est l’avertissement du destin… C’est quand il le connaît que l’être devient libre, car il sait ce qu’il doit éviter ou rechercher.

Sa main s’éleva jusqu’au niveau du visage de Pierre.

— Vois ceci… Tu t’es moqué, tout à l’heure, quand je t’ai parlé du pain que tu accorderais à mes dernières années. Pourtant moi, je suis sûre qu’il en sera ainsi… Tiens, cette ligne qui part de mon poignet et vient mourir entre l’index et le médius… regarde aux deux tiers de sa longueur… Vois-tu une croix et un point ?

— Oui, répondit machinalement le jeune homme.

— Eh bien, ceci m’annonçait qu’en l’année où je suis parvenue, ma vie future dépendrait d’une rencontre avec un homme jeune comme toi.

Pierre sentit le sourire remonter à ses lèvres.

— Sapristi ! voilà une croix et un point qui en disent long. Quelle merveilleuse sténographie !