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— Riche homme, dit-elle, demande l’avenir à la voyante Ramrah.

La phrase dissipe le charme. C’est dans un frisson de rire qu’il répond :

— La voyante voit mal ! Le riche homme qu’elle sollicite n’a point de quoi payer ses prédictions. La machine pneumatique du destin a fait le vide dans ses poches.

Mais tandis qu’il raille, la gitana s’est approchée de lui. Elle le regarde d’un air pensif, et comme se parlant à elle-même :

— Le destin s’amuse. Lui aussi s’exerce à dérouter l’esprit des hommes, seulement il ne saurait tromper Ramrah.

Pierre ne cherche point à cacher l’étonnement né chez lui de cette affirmation. La femme hoche la tête, puis doucement :

— Interroge cependant, Ramrah te répondra.

— Mais, commence-t-il, je t’affirme, pauvre gitana, que je n’ai…

— Pas un maravédis vaillant ; j’en suis sûre, puisque tu l’as déclaré et que tu ne peux mentir.

Du coup, le marquis demeura muet. Certes, la réplique de la bizarre créature est aimable, mais elle est surtout vraie. Le mensonge est l’indice de la lâcheté morale ; comme tous les êtres courageux, de Chazelet en a horreur.

— Interroge Ramrah, poursuit la bohémienne… Elle te fera crédit. Le jour seulement où ton destin sera accompli, elle viendra à toi pour que tu assures le pain à sa vieillesse.

Elle lui en impose véritablement. Lui, le Parisien ironique, incrédule, frondeur ; lui, le lettré, le gentilhomme, se sent dominé par cette pauvresse aux haillons multicolores.

Elle lui prend la main sans qu’il ose résister. Elle se penche sur la paume, et son index maigre semble suivre les plis qui la sillonnent. Elle prononce vite.

— Ligne du cœur, ligne de tête, ligne de vie… Égales, égales… ! Tu seras riche, plus riche qu’un roi ; le pain de mes vieux jours est assuré !

Riche !

La prédiction fit tressaillir Pierre de Chazelet.

Non qu’il fût avide ; l’homme qui, en cinq années, avait semé à tous les vents les deux millions touchés à sa majorité, ne tenait évidemment pas à l’argent ;