Page:Ivoi - Jud Allan, roi des gamins.djvu/137

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Frey l’entraîne dans la galerie de gauche. Il parvient à la dernière porte devant laquelle il s’arrête.

— C’est là ? murmure Linérès défaillante.

— Oui, c’est là, fait le milliardaire sur le même ton.

Ce n’est point une exclamation, mais un soupir profond, presque douloureux, qui fuse entre les lèvres de la jeune fille. Elle reste immobile, comme anéantie.

Pierre fait un pas en avant. Il veut l’encourager, la soutenir. Jemkins l’arrête du geste.

— Chut ! Cette émotion sera peut-être communicative.

Et d’un mouvement brusque, il ouvre la porte, poussant la jeune fille en avant.

Chazelet, médusé, s’est arrêté sur le seuil de la pièce.

La salle est vaste, toute blanche, avec de larges fenêtres, par lesquelles entrent librement l’air et le soleil, et qui laissent apercevoir, de l’autre côté de la rue, la façade de style renaissance de la bibliothèque du Congrès.

Une femme est là, repliée dans un fauteuil, le regard vague. Son visage est resté beau, mais la souffrance l’a en quelque sorte décoloré.

Et à ses traits amaigris, immobiles, sous lesquels il semble que ne coule plus le courant sanguin de la vie, ses cheveux, entièrement blancs, font une auréole de neige.

Elle dodeline lentement la tête, murmurant sur un mode bas, monotone, des paroles qui glacent les assistants.

C’est une sorte de mélopée plaintive qui passe dans l’air ainsi qu’un frisson d’épouvante. Elle module :

Le soleil est rouge de sang.
— Soleil, dis-moi, pourquoi ce rouge ?
— C’est le sang pur de ton enfant
Qu’ont bu le vampire et la gouge !
 
La lune a le visage blanc
— Pourquoi te farder de la sorte ?
— Pour rappeler que ton enfant
Est livide ainsi qu’une morte !

De grosses larmes roulaient sur les joues de Linérès.