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UNE MAISON DE POUPÉE

Krogstad.

Où voulez-vous en venir ?

Madame Linde.

Qu’en dites-vous, Krogstad, si ces deux naufragés se tendaient la main ?

Krogstad.

Que dites-vous ?

Madame Linde.

Ne vaut-il pas mieux se cramponner ensemble sur la même planche ?

Krogstad.

Christine !

Madame Linde.

Quel est, croyez-vous, le motif qui m’a attiré dans cette ville ?

Krogstad.

Vous auriez pensé à moi ?

Madame Linde.

Il faut que je travaille pour supporter l’existence. Tous les jours de ma vie, si loin que je reporte mes souvenirs, je les ai passés à travailler. C’était ma plus grande, mon unique joie. Maintenant que je me vois seule au monde, je me sens abandonnée. J’éprouve un vide horrible. Quand on ne pense qu’à soi, cela détruit tout l’attrait du travail. Voyons, Krogstad, trouvez-moi pour qui et pour quoi travailler ?

Krogstad.

Je ne vous crois pas ? Ce n’est là qu’orgueil de femme qui s’exalte et veut se sacrifier.

Madame Linde.

M’avez-vous jamais connu exaltée ?

Krogstad.

Seriez-vous vraiment capable de faire ce que vous dites ? Connaissez-vous tout mon passé ?