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MADAME INGER

Alors des années d’une lourde torpeur succédèrent à cette fièvre ; plus de soulèvements, l’ennemi put nous opprimer tout à son gré. À certain moment j’eus honte de moi-même. Annihilée comme je l’étais, accablée par la terreur, méprisée, je n’avais plus qu’à mettre des enfants au monde.

Oh ! mes filles, que Dieu me pardonne, si je n’eus pas pour elles le cœur d’une mère. Ma vie d’épouse était un bagne odieux, comment pouvais-je chérir ces enfants.

Mon fils, au contraire, l’enfant de mon âme, me rappelait seul le temps où j’avais aimé où j’avais été vraiment femme.

Et cet enfant-là on me l’avait pris ! Il grandissait au milieu d’étrangers qui, peut-être, jetaient dans son âme les germes les plus dangereux. O Olaf Skaktavl ! Si comme vous, bannie, j’avais parcouru les montagnes neigeuses pendant les rigueurs de l’hiver, en tenant mon enfant dans mes bras, je n’aurais pas tant pleuré dans le désespoir, comme je l’ai fait depuis sa naissance jusqu’aujourd’hui.

olaf skaktavl

Prenez ma main, Madame Inger, je vous ai mal jugée. Ordonnez, comme jadis, et j’obéirai. Oui, par tous les saints, je connais cette douleur de pleurer sur son enfant.

madame inger

L’ennemi a tué votre fils. Mais qu’est la mort à côté de cette terreur incessante et qui dure depuis tant d’années.