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L’UNION DES JEUNES

la bonne acception du mot. Chez nous, on n’a jamais songea s’élever au-dessus de sa position. Les circonstances nous ont été favorables, nous n’avons jamais eu à souffrir de malheurs financiers ou autres ; aucun décès n’a troublé notre intérieur et n’y a laissé le vide et le chagrin, nous avions l’amour du beau, mais cet amour consistait dans notre manière d’apprécier la vie et ne s’arrêtait pas aux choses extérieures. Nous ne commettions aucun écart d’intelligence ni de sentiment.

bratsberg. — Voyez, voyez ! C’est pour cela que vous êtes resté tellement complet.

fieldbo. — Je suis loin de le croire. Je dis seulement que les circonstances de la vie m’ont été excessivement favorables et je sens que cela m’impose des devoirs.

bratsberg. — Soit. Mais si Stensgard n’a pas de devoirs de ce genre, il est d’autant plus beau de voir que lui aussi…

fieldbo. — Comment ! Qu’est-ce ?

bratsberg. — Vous le jugez mal, mon bon docteur ! Voyez ceci ! Qu’en pensez-vous ?

fieldbo. — La lettre de change de votre fils !

bratsberg. — Oui, il me l’a renvoyée.

fieldbo. — De son propre mouvement ?

bratsberg. — De son propre mouvement et sans aucune condition : c’est beau, c’est généreux. C’est pourquoi, à partir d’aujourd’hui, ma maison lui est ouverte.

fieldbo. — Faites attention, dans votre intérêt comme dans celui de votre fille.

bratsberg. — Ah, laissez ! Il a beaucoup de qualités que vous n’avez pas. Il est franc, lui, tandis que vous faites tout en cachette, docteur !