Page:Ibsen - Les Soutiens de la société, L’Union des jeunes, trad. Bertrand et Nevers, 1902.djvu/134

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
122
THÉATRE

MARTHA. — Est-ce qu’il était possible, parce que je l’aimais, que je ne le veuille pas heureux ! Oui, je l’ai aimé. Il a été le maître unique de toute ma vie depuis le jour de son départ. Tu te demandes, sans doute, ce que j’espérais. Ah ! j’avais bien, je crois, quelques raisons d’espérer. Mais quand il est revenu, tout souvenir était effacé dans son âme. Il est passé sans me voir !

LONA. — C’est Dina qui t’a rejetée dans l’ombre, Martha.

MARTHA. — Et c’est un grand bonheur qu’il en ait été ainsi ! Nous étions du même âge quand il est parti ; mais quand il est revenu, ô quel affreux moment ! J’ai bien senti que j’étais son aînée de dix ans. Là-bas, sous le soleil clair et joyeux, il respirait la jeunesse et la force dans une atmosphère plus pure ; tandis que moi, ici, je filais… je filais…

LONA. — Tu filais l’écheveau de son bonheur, Martha.

MARTHA. — Oui, je filais de l’or. Je n’ai point d’amertume. N’est-ce pas, Lona, que nous avons été pour lui deux bonnes sœurs ?

LONA. — Martha !


Scène XI

M. BERNICK, Mlle LONA

BERNICK, aux personnes qui sont dans sa chambre. — Oui, oui, faites comme vous l’entendrez. Je viendrai quand il en sera temps. (Il ferme la porte.) Ah ! vous êtes là ! Ecoute, Martha, il faut que tu fasses un peu de toilette. Betty aussi. Rien de pompeux. Une élégante