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THÉATRE

me jeter à la mer que de devenir sa femme. Oh ! quelle peine il m’a fait hier ! Comme il était hautain ! Comme il me faisait sentir qu’il m’élevait jusques à lui, moi, une insignifiante jeune fille ! On n’aura plus pour moi de ces indulgences-là. Je veux partir. Puis-je partir avec vous ?

JOHANN. — Oui, oui ; mille fois oui !

DINA. — Je ne vous serai pas longtemps à charge. Emmenez-moi, aidez-moi un peu dans les débuts ; et puis…

JOHANN. — Hourrah ! nous nous arrangerons, Dina !

LONA (montrant la porte du consul). — Chut ! parlons bas ! Parlons bas !

JOHANN. — Dina, je vais vous emporter dans mes bras.

DINA. — Je ne vous le permettrai point. Là-bas, en Amérique, je travaillerai. Cela me sera facile, n’est-ce pas ? Si je puis seulement partir d’ici ! Oh ! ces dames, vous ne savez pas ? Elles m’ont écrit aujourd’hui même pour me recommander d’être reconnaissante de toute la générosité que l’on montrait à mon égard. Demain, après-demain, tout le temps, elles me surveilleraient, pour savoir si je suis vraiment digne de mon bonheur ! Et moi j’ai peur de tant de respectabilité !

JOHANN. — Dites-moi, Dina ; partez-vous pour cette raison seulement ? Et ne suis-je rien pour vous ?

DINA. — Johann, nul autre ne m’est aussi cher que vous.

JOHANN. — O Dina !

DINA. — Tous me disent ici que je dois vous mépriser et vous haïr, que c’est mon devoir ; mais je ne comprends pas ce devoir et je crois bien que je ne le comprendrai jamais.