Page:Ibsen - Les Soutiens de la société, L’Union des jeunes, trad. Bertrand et Nevers, 1902.djvu/117

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
105
LES SOUTIENS DE LA SOCIÉTÉ

BERNICK. — Cette société là a beaucoup de bon.

RORLUND. — Comment pouvez-vous dire cela, vous…, vous… qui ?…

BERNICK. — Dans tous les grands pays, on sait mener à bien les entreprises utiles, parce qu’on a le courage de faire les sacrifices nécessaires. Ici, l’on est enchaîné par mille mesquines considérations, on rencontre mille obstacles.

RORLUND. — La vie humaine est-elle une considération mesquine ?

BERNICK. — Quand cette existence est un obstacle au bien-être de milliers de gens.

RORLUND. — Mais vous supposez là des choses tout à fait impossibles, monsieur le consul ; je ne vous comprends pas du tout aujourd’hui ! Vous citez en exemple les grandes nations… Oui, là, que vaut une vie humaine ? Là, on ne considère la vie que comme un capital. Au point de vue moral ce n’est pas ainsi qu’il faut voir les choses. Jetez un regard sur nos armateurs honnêtes. Nommez-moi une seule personne parmi vous qui sera disposée à sacrifier une vie humaine pour un fait misérable. Et pensez à ces canailles de grandes nations qui, pour le moindre avantage, ne craignent pas d’envoyer en mer, par exemple, des navires qui ne peuvent évidemment pas supporter la mer.

BERNICK. — Je ne vous parle pas des navires qui peuvent ou non supporter la mer…

RORLUND. — Mais, j’en parle, monsieur le consul.

BERNICK. — Oui… pourquoi ?… Cela n’a rien à voir avec notre affaire. Ah ! toutes ces timides considérations. Si, chez nous, un général conduisait au feu ses soldats