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LES SOUTIENS DE LA SOCIÉTÉ

BERNICK. — Pour les gagner à ma cause, j’ai dû les intéresser à l’affaire.

LONA. — Et alors ?

BERNICK. — Ils auront à se partager le cinquième des bénéfices.

LONA. — Oh ! ces soutiens de la société !…

BERNICK. — N’est-ce pas la société elle-même qui nous contraint à cela ? Que serait-il arrivé si je n’avais agi secrètement ? Tout le monde aurait voulu prendre part à cette spéculation : on aurait tout gâté, gaspillé, massacré. Sauf moi, il n’y a pas un homme dans la ville qui eut su mener à bien une affaire de cette importance. Dans ce pays, il n’y a que les familles immigrées qui aient aptitudes pour les affaires ; et c’est cela qui met ma conscience en repos. Dans mes mains, dans mes mains seulement, ces terres fructifieront et donneront tout ce que l’on peut espérer d’elles.

LONA. — Tu as peut-être raison en cela, Bernick.

JOHANN. — Mais moi je ne connais pas tout ce monde là et le bonheur de ma vie est en jeu.

BERNICK. — La prospérité de ton pays natal est en jeu aussi. Pour peu qu’un doute s’élève sur la correction de ma vie passée, tous mes adversaires se précipiteront sur moi et me perdront. Dans notre société, une légère faute de jeunesse n’est jamais effacée. On scrutera ma vie depuis lors, on rappellera mille petits incidents, on les retournera dans tous les sens et finalement on s’accordera pour y voir les indispensables corollaires de cette première faute. Je serai écrasé sous le poids de ces cancans et de ces calomnies et contraint de me retirer de cette affaire des chemins de fer. Or, après moi, sans