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LES SOUTIENS DE LA SOCIÉTÉ

ce bruit s’est répandu, j’en ai une part de responsabilité.

LONA. — Toi ? Tu as fait cela contre celui qui, pour te sauver…

BERNICK. — Ne me condamne pas avant de connaître la situation. Je te l’ai déjà expliquée hier. Quand je suis revenu de mon voyage à l’étranger, j’ai trouvé ma mère compromise dans plusieurs entreprises insensées ; avec cela mille accidents de toutes sortes. Tout était déchaîné contre nous. Notre maison se trouvait à deux doigts de sa ruine. Malgré que je fusse encore un peu léger, j’étais désespéré ; et c’est un peu pour me distraire de mes soucis que je me suis jeté dans cette malheureuse liaison qui a eu pour résultat le départ de Johann.

LONA. — Hum !

BERNICK. — Tu peux bien t’imaginer que l’on fit des potins de tous genres quand tu partis avec Johann. « Ce n’est pas sa première sottise, » disait l’un ; « il a donné une grosse somme à Dorff pour qu’il s’éloigne et lui laisse le champ libre, » disait l’autre. À ce même moment, on apprit que notre maison avait toutes les difficultés du monde à effectuer ses paiements. Quoi de plus naturel, pour tous ces potiniers, que de rapprocher ces deux faits. « Il vivait pauvrement ici, disait-on, il a pris l’argent pour fuir en Amérique. » Et, naturellement, ces inventions allaient toujours grossissant.

LONA. — Et que disais-tu, toi, Richard ?

BERNICK. — Moi, j’accueillis cette rumeur comme une planche de salut.

LONA. — Et tu contribuas à la répandre ?

BERNICK. — Je me contentai de ne pas la démentir. Nos créanciers nous pressaient, et c’est grâce seulement à