Page:Huysmans - En menage - ed Fasquelle 1922.djvu/94

Cette page n’a pas encore été corrigée

de livres qu’il avait écrits ne se vendaient point.

Grâce à lui, sa vie restait humble et basse, grâce à lui, elle était la plus malheureuse des femmes, et, elle s’apitoyait avec des rages sourdes sur son sort, regardait pendant de longues soirées, son mari travailler des phrases. Elle haussait les épaules à la vue de ses hésitations, de sa manière furieuse de mâcher son porte-plume, de ses ratures de lignes entières, de ses surcharges encore biffées, de ses renvois barrés de lignes d’encre ; elle finissait par s’impatienter de son silence obstiné, de ses grognements de dépit, et elle l’interrompait par des observations de ce genre : prends donc garde, tu vas tacher avec ta plume le tapis de la table.

Il lui semblait que si elle avait appris un métier, elle l’aurait exécuté sans des tâtonnements pareils. Elle ne croyait pas qu’il fût plus difficile de mettre des mots en place que de remplir de points de laine le canevas d’une tapisserie. Elle était irritée contre son mari qui, les soirs où elle eût désiré sortir, objectait qu’il était en veine de travail, s’attelait rageusement à un chapitre, s’arrêtait, incertain, rêvassait pendant des heures, se frottait radieusement les mains. Un jour, elle lui dit :

— Pour le peu de besogne que tu as abattu, ce soir, tu aurais tout aussi bien fait de me mener dans le monde.

Elle avait les bourdonnements et les harcèlements insupportables d’une mouche et son mari ne pouvait ni l’écarter, ni se plaindre, car jamais elle n’était dans