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qu’étendus dans le lit, ils cessaient de bavarder sans même songer à se bécotter ou à s’étreindre.

André qui s’endormait leva le nez sur la couverture.

— Eh bien quoi ? fit-il.

Elle reprit : Dis donc, tu sais, nous pouvons commencer à répéter le refrain de la chanson : « Souvenez-vous-en, souvenez-vous-en » , car vois-tu, quand on jouit à s’emplir ainsi le ventre, c’est la fin des bonnes nuits où l’on ne dort pas.

Elle avait raison, la gourmandise s’était introduite chez eux comme un nouvel intérêt, amené par l’incuriosité grandissante de leurs sens, comme une passion de prêtres qui, privés de joies charnelles, hennissent devant des mets délicats et de vieux vins. Le renouveau de leurs amours étant épuisé, André et Jeanne n’eurent bientôt plus que de béates tendresses, de maternelles satisfactions à coucher quelquefois ensemble, à s’allonger simplement pour être l’un près de l’autre, pour causer avant de se camper dos à dos et de dormir. Ils goûtèrent alors ces bonheurs monotones des vieux mariages rompus par les inévitables et faibles querelles, nées d’un ronflement continu, ou d’une bousculade maladroite des corps, pendant la nuit.

Dans cette existence tranquillisée, dans cette tiédeur de ménage vivant au milieu de Paris ainsi que dans une province, André se plongeait comme en un bain sédatif et apaisant ; les caresses de Jeanne fermaient les blessures ouvertes par les trahisons de Berthe et à peine pansées par la bonne franquette de