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menait de long en large continuant à exhaler ses plaintes, à répéter ses espérances aux quatre coins de la pièce.

André le laissait déclamer. Les tirades exaspérées du peintre l’intéressaient. Elles lui rappelaient le temps où ils discutaient pendant des journées entières. Aujourd’hui, Cyprien criait dans le désert. André le contredisait le moins possible, s’étant depuis longtemps aperçu que son ami était de ces gens qui, possédés par un sujet, n’écoutent même pas les arguments qu’on leur oppose et s’acharnent, sans souci des démentis et des répliques, à exposer leurs doctrines et leurs systèmes.

André n’admettait point d’ailleurs toutes les idées de son camarade. Partant d’un point de vue commun, épris, tous les deux, de naturalisme et de modernité, tellement frottés l’un à l’autre, qu’ils avaient un genre d’esprit semblable, une vision mélancolique de la vie, innée chez Cyprien et graduellement développée par ses déboires et par ses échecs, moins instinctive et plus factice chez André sur lequel peu à peu le compagnonnage du peintre avait déteint, ils ne voyaient cependant pas de la même façon. Ils se séparaient au premier chemin rencontré sur la route qu’ils parcouraient ensemble. Leur tempérament différait.

Grand et blond, maigre et blême, Cyprien avait une barbe pâle, de longs doigts effilés et pointus, une main remuante, un œil gris aiguisé, des cheveux hérissés de poils blancs. Il battait le briquet, en mar-