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VERS




LA PETITE FEMME


 
Tout à l’heure, lorsque, mordu
Par le froid, les yeux gros de larmes,
Je suis en gare descendu
Entre mes deux braves gendarmes.

J’ai remarqué sur le trottoir
Une toute petite femme
Qui m’aura pris, sans le savoir,
Tout ce qui me chante dans l’âme.

L’œil clair, le minois engageant.
Avec un air de bébé pâle,
Elle était devant moi, songeant
À côté d’une grande malle.

Tout vibrant de jolis accords,
— Les étoffes ont leurs musiques
Un manteau sur son petit corps
Déroulait ses plis magnétiques.

Fraîche, pas plus haute que ça,
Et l’allure coquette et vive !
Je ne sais ce qui se passa ;
Mais elle me sourit, pensive.

Chère vision ! rêve blanc !
Ange apparu dans mon martyre !
Je lui répondis en mêlant
Un baiser vague à mon sourire.

Les gendarmes ne voyaient rien :
Leurs passions sont émoussées.
Moi je rêvais : j’étais si bien
Seul à seul avec mes pensées !