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et Anne ne trouva pas ce bienfait. Elle errait de pièce en pièce, à la recherche de ses souvenirs, et rien du passé ne criait vers elle. Alors elle comprit combien elle n’était plus elle-même, et se soumit à la douleur d’être devenue une étrangère à ses lieux familiers. Elle parla tout haut, pour rompre le maléfice qui l’envoûtait, mais sa voix mourut sous les poutres qui jalonnaient le plafond de leur robuste soutien. Elle comprit qu’elle était venue pour un adieu définitif, et que dorénavant elle resterait une déracinée, que la maison natale reverrait sans joie.

Ce reniement la frappa comme une déchéance, mais elle ne se révolta pas. Un élan l’emporta vers la vie qu’elle avait voulue, et un flot joyeux balaya tout. C’en était fait de son désir de retour. Puisque tout restait silencieux à son approche, c’est que plus rien ici n’était pour elle.

« Personne n’est maître de son cœur », songeait-elle, « et j’irai, comme tous les autres, vers mon destin. »

Maintenant, elle pouvait repartir. Elle aurait voulu retourner vers la ville, sans que personne ne la revit… Mais il y avait Jean, son pauvre Jean… Et le cœur d’Anne souffrait de penser à lui. Elle lui devait ces quelques jours, les derniers, pendant lesquels elle s’efforcerait de le convaincre que la perdre ne pouvait pas être un malheur. Elle ne voulait pas, dans cette maison qui avait abrité son âme puérile et douce, parler de passion et nommer l’élu de son cœur. Dans leurs cadres, son père et sa mère souriaient, comme ils lui avaient toujours souri dans la vie. Elle imagina que leurs regards l’absolvaient dans leur merveilleuse expression d’amour, et de toute son âme elle les en bénit.

Elle avait fini d’errer de pièce en pièce, et de redire le « souviens-toi » de son pèlerinage. Sa montre marquait neuf heures. Le village maintenant ne dormait plus et Anne sentit le désir de retourner vers la vie. Elle traversa le jardin qui embaumait le seringa, et elle cueillit les fleurettes blanches à l’un des arbustes. Elle vit que les arbres n’avaient pas une plaie, et que toutes les branches portaient