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— Comme vous êtes spontanée et amusante quand vous voulez ! fit-il en découvrant une Anne nouvelle, gaie, vive, les yeux pleins de flamme et du rose aux joues.

— Dame, on est dans le monde, mon petit Daunois, il va falloir rire. Avec vous, cela me sera facile, vous êtes si indulgent à ma conversation. Regardez tous ces gens à qui il va falloir dire des choses dont l’on ne sait pas le premier mot. Savez-vous, j’ai une peur bleue des gaffes. Je sens que je vais en commettre par douzaines, et je voudrais bien que vous ne me quittiez pas… Mais où est donc le maître de la maison ?

Au moment où Anne le cherchait, Paul Rambert se dressa à l’entrée du grand salon, aux côtés d’un homme que nos deux amis reconnurent immédiatement, et son nom jaillit de leurs lèvres, avec des intonations différentes : Laurier !

Anne, médusée, le regardait de tous ses yeux, le grand Canadien dont elle connaissait l’image, et à qui son père avait voué un véritable culte. Elle comprenait du premier coup l’emprise qu’un tel homme pouvait exercer sur les foules, et elle sentait que, pour lui, elle serait capable de se dévouer jusqu’au sacrifice sans qu’il lui en coûtât le plus petit effort.

La grâce un peu sèche de Madame Rambert s’humanisa soudain devant cette puissance qu’elle admirait et qui lui faisait l’honneur de paraître à une réception qui, de cette présence, prenait une allure presque officielle, et pour cette femme ambitieuse autant que froide, qui ne visait qu’à monter, la venue de Laurier était un triomphe de très belle qualité. Le grand homme fut vite entouré. À côté de lui, Rambert se prodiguait, présentant, saluant, causant et riant. Anne, qui le regardait attentivement, rencontra soudain ses yeux. Il eut tout de suite une expression heureuse que son sourire acheva de ponctuer, et se dégageant, il vint à elle d’un grand élan :

— Je ne vous ai pas vue arriver… Mais comme je suis heureux que vous soyiez venue… et vous aussi, Daunois, acheva-t-il, en tendant la main au jeune homme.

— Vous êtes charmant de m’accueillir ainsi. Et quel bonheur de voir M. Laurier d’aussi près. Savez-vous que c’est la première fois…

— Vraiment, vous ne le connaissez pas ? Alors c’est moi qui vous le présenterai, et vous allez voir comme il sera content de rencontrer la fille de l’un de ses anciens disciples.

— Je me sens gênée, si vous saviez… Ne me présentez pas, je serais trop sotte pour savoir lui parler…

— Mais, non, mais non, vous serez tout de suite à votre aise, c’est l’être le plus aimable qui se puisse imaginer. Venez-vous, Daunois ? Anne s’avisa alors de l’attitude peu enthousiaste de son compagnon qui s’excusa :

— Je connais déjà Sir Wilfrid, et j’irai le saluer plus tard.

Paul Rambert offrit son bras à Anne, et le cercle qui entourait Laurier se brisa pour leur permettre d’accéder auprès du grand homme qui parut ravi de la jeune fille qu’on lui amenait. Tout de suite, il se mit à lui parler de son père, à vanter son intelligence, ses dons oratoires, sa dignité, sa popularité… À un moment, regardant Anne, il vit, dans les yeux levés vers lui, monter de grosses larmes. Alors avec ce tact qui était chez lui une vertu, il s’empressa de parler d’elle, de la carrière qu’elle avait choisie, du succès qu’elle rencontrait, et pour bien marquer qu’il la connaissait, il exprima l’impression ressentie à la lecture de certains articles. Tout en parlant, il avisa un divan, y fit asseoir la jeune fille et prit place à ses côtés, la questionnant sur sa vie, sur son art, ses lectures, ses délassements, ses meilleures distractions, intéressé à ses réponses, et s’amusant de ses vivacités spirituelles. Anne, mise en confiance, parlait gaiement et librement, avec cette simplicité qui lui donnait un si grand