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pierre gringoire

Que diable ! continuez ! — sans même daigner jeter un regard de dédain sur les deux interrupteurs.

En ce moment, il se sentit tirer par le bord de son surtout ; il se retourna, non sans quelque humeur, et eut assez de peine à sourire ; il le fallait pourtant. C’était le joli bras de Gisquette-la-Gencienne, qui, passé à travers la balustrade, sollicitait de cette façon son attention.

— Monsieur, dit la jeune fille, est-ce qu’ils vont continuer ?

— Sans doute, répondit Gringoire, assez choqué de la question.

— En ce cas, messire, reprit-elle, auriez-vous la courtoisie de m’expliquer…

— Ce qu’ils vont dire ? interrompit Gringoire. Eh bien, écoutez.

— Non, dit Gisquette ; mais ce qu’ils ont dit jusqu’à présent.

Gringoire fit un soubresaut, comme un homme dont on toucherait la plaie à vif.

— Peste de la petite fille sotte et bouchée ! dit-il entre ses dents.

À dater de ce moment-là, Gisquette fut perdue dans son esprit.

Cependant les acteurs avaient obéi à son injonction, et le public, voyant qu’ils se remettaient à parler, s’était remis à écouter ; non sans avoir perdu force beautés, dans l’espèce de soudure qui se fit entre les deux parties de la pièce, ainsi brusquement coupée. Gringoire en faisait tout bas l’amère réflexion. Pourtant la tranquillité s’était rétablie peu à peu ; l’écolier se taisait, le mendiant comptait quelque monnaie dans son chapeau, et la pièce avait repris le dessus.

C’était en réalité un fort bel ouvrage, et dont il nous semble qu’on pourrait encore fort bien tirer parti aujourd’hui, moyennant quelques arrangements. L’exposition, un peu longue et un peu vide, c’est-à-dire dans les règles, était simple ; et Gringoire, dans le candide sanctuaire de son for intérieur, en admirait la clarté. Comme on s’en doute bien, les quatre personnages allégoriques étaient un peu fatigués d’avoir parcouru les trois parties du monde, sans trouver à se défaire convenablement de leur dauphin d’or. Là-dessus, éloge du poisson merveilleux, avec mille allusions délicates au jeune fiancé de Marguerite de Flandre, alors fort tristement reclus à Amboise, et ne se doutant guère que Labour et Clergé, Noblesse et Marchandise venaient de faire le tour du monde pour lui. Le susdit dauphin donc était jeune, était beau, était fort, et surtout (magnifique origine de toutes les vertus royales !) il était fils du lion de France. Je déclare que cette métaphore hardie est admirable ; et que l’histoire naturelle du théâtre, un jour d’allégorie et