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ceci tuera cela.

si dogmatique, envahie désormais par la bourgeoisie, par la commune, par la liberté, échappe au prêtre et tombe au pouvoir de l’artiste, L’artiste la bâtit à sa guise. Adieu le mystère, le mythe, la loi. Voici la fantaisie et le caprice. Pourvu que le prêtre ait sa basilique et son autel, il n’a rien à dire. Les quatre murs sont à l’artiste. Le livre architectural n’appartient plus au sacerdoce, à la religion, à Rome : il est à l’imagination, à la poésie, au peuple. De là les transformations rapides et innombrables de cette architecture qui n’a que trois siècles, si frappantes après l’immobilité stagnante de l’architecture romane qui en a six ou sept. L’art cependant marche à pas de géant. Le génie et l’originalité populaires font la besogne que faisaient les évêques. Chaque race écrit en passant sa ligne sur le livre ; elle rature les vieux hiéroglyphes romans sur le frontispice des cathédrales, et c’est tout au plus si l’on voit encore le dogme percer çà et là sous le nouveau symbole qu’elle y dépose. La draperie populaire laisse à peine deviner l’ossement religieux. On ne saurait se faire une idée des licences que prennent alors les architectes même envers l’église. Ce sont des chapiteaux tricotés de moines et de nonnes honteusement accouplés, comme à la Salle-des-Cheminées du Palais de Justice à Paris. C’est l’aventure de Noë sculptée en toutes lettres, comme sous le grand portail de Bourges. C’est un moine bachique à oreilles d’âne et le verre en main, riant au nez de toute une communauté, comme sur le lavabo de l’abbaye de Bocherville. Il existe à cette époque, pour la pensée écrite en pierre, un privilége tout à fait comparable à notre liberté actuelle de la presse. C’est la liberté de l’architecture.

Cette liberté va très-loin. Quelquefois un portail, une façade, une église tout entière présente un sens symbolique absolument étranger au culte, où même hostile à l’église. Dès le treizième siècle Guillaume de Paris, Nicolas Flamel au quinzième, ont écrit de ces pages séditieuses. Saint-Jacques-de-la-Boucherie était toute une église d’opposition.

La pensée alors n’était libre que de cette façon ; aussi ne s’écrivait-elle tout entière que sur ces livres qu’on appelait édifices. Sous cette forme édifice, elle se serait vu brûler en place publique par la main du bourreau sous la forme manuscrite, si elle avait été assez imprudente pour s’y risquer. Ainsi n’ayant que cette voie pour se faire jour, elle s’y précipitait de toutes parts. De là l’immense quantité de cathédrales qui ont couvert l’Europe, nombre si prodigieux qu’on y croit à peine, même après l’avoir vérifié. Toutes les forces matérielles, toutes les forces intellectuelles de la société convergeaient au même point : l’architecture. De cette manière,