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suite de claude frollo.

cellule, nul ne le savait ; mais on avait vu souvent des grèves du Terrain, la nuit, à une petite lucarne qu’elle avait sur le derrière de la tour, paraître, disparaître et reparaître à intervalles courts et égaux, une clarté rouge intermittente, bizarre, qui semblait suivre les aspirations haletantes d’un soufflet, et venir plutôt d’une flamme que d’une lumière. Dans l’ombre, à cette hauteur, cela faisait un effet singulier ; et les bonnes femmes disaient : Voilà l’archidiacre qui souffle ! l’enfer pétille là-haut.

Il n’y avait pas dans tout cela, après tout, grande preuve de sorcellerie, mais c’était bien toujours autant de fumée qu’il en fallait pour supposer du feu ; et l’archidiacre avait un renom assez formidable. Nous devons dire pourtant que les sciences d’Égypte, que la nécromancie, que la magie, même la plus blanche et la plus innocente, n’avait pas d’ennemi plus acharné, pas de dénonciateur plus impitoyable par-devant messieurs de l’officialité de Notre-Dame. Que ce fût sincère horreur où jeu joué du larron qui crie au voleur ! cela n’empêchait pas l’archidiacre d’être considéré par les doctes têtes du chapitre comme une âme aventurée dans le vestibule de l’enfer, perdue dans les antres de la cabale, tâtonnant dans les ténèbres des sciences occultes. Le peuple ne s’y méprenait pas non plus : chez quiconque avait un peu de sagacité, Quasimodo passait pour le démon, Claude Frollo pour le sorcier. I] était évident que le sonneur devait servir l’archidiacre pendant un temps donné, au bout duquel il emporterait son âme en guise de paiement. Aussi l’archidiacre était-il, malgré l’austérité excessive de sa vie, en mauvaise odeur parmi les bonne âmes ; et il n’y avait pas nez de dévote si inexpérimenté qui ne le flairât magicien.

Et si, en vieillissant, il s’était formé des abîmes dans sa science, il s’en était aussi formé dans son cœur. C’est du moins ce qu’on était fondé à croire en examinant cette figure sur laquelle on ne voyait reluire son âme qu’à travers un sombre nuage. D’où lui venait ce large front chauve, cette tête toujours penchée, cette poitrine toujours soulevée de soupirs ? Quelle secrète pensée faisait sourire sa bouche avec tant d’amertume au même moment où ses sourcils froncés se rapprochaient comme deux taureaux qui vont lutter ? Pourquoi son reste de cheveux étaient-ils déjà gris ? Quel était ce feu intérieur qui éclatait parfois dans son regard, au point que son œil ressemblait à un trou percé dans la paroi d’une fournaise ?

Ces symptômes d’une violente préoccupation morale avaient surtout acquis un haut degré d’intensité à l’époque où se passe cette histoire. Plus d’une fois un enfant de chœur s’était enfui effrayé de le trouver seul dans l’église, tant son regard était étrange et éclatant. Plus d’une fois,