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suite de claude frollo.

Join et de chercher d’autres aliments à l’activité insatiable de son intelligence. L’antique symbole du serpent qui se mord la queue convient surtout à la science. Il paraît que Claude Frollo l’avait éprouvé. Plusieurs personnes graves affirmaient qu’après avoir épuisé le fas du savoir humain, il avait osé pénétrer dans le nefas. Il avait, disait-on, goûté successivement toutes les pommes de l’arbre de l’intelligence, et, faim ou dégoût, il avait fini par mordre au fruit défendu. Il avait pris place tour à tour, comme nos lecteurs l’ont vu, aux conférences des théologiens en Sorbonne, aux assemblées des artiens à l’image Saint-Hilaire, aux disputes des décrétistes à l’image Saint-Martin, aux congrégations des médecins au bénitier de Notre-Dame, ad cupam Nostræ-Domine. Tous les mets permis et approuvés que ces quatre grandes cuisines appelées les quatre facultés pouvaient élaborer et servir à une intelligence, il les avait dévorés, et la satiété lui en était venue avant que sa faim fût apaisée. Alors il avait creusé plus avant, plus bas, dessous toute cette science finie, matérielle, limitée ; il avait risqué peut-être son âme, et s’était assis dans la caverne à cette table mystérieuse des alchimistes, des astrologues, des hermétiques, dont Averroès, Guillaume de Paris et Nicolas Flamel tiennent le bout dans le moyen âge, et qui se prolonge dans l’Orient, aux clartés du chandelier à sept branches, jusqu’à Salomon, Pythagore et Zoroastre.

C’était du moins ce que l’on supposait, à tort ou à raison.

Il est certain que l’archidiacre visitait souvent le cimetière des Saints-Innocents, où son père et sa mère avaient été enterrés, il est vrai, avec les autres victimes de la peste de 1466 ; mais qu’il paraissait beaucoup moins dévot à la croix de leur fosse qu’aux figures étranges dont était chargé le tombeau de Nicolas Flamel et de Claude Pernelle, construit tout à côté !

Il est certain qu’on l’avait vu souvent longer la rue des Lombards, et entrer furtivement dans une petite maison qui faisait le coin de la rue des Écrivains et de la rue Marivaulx. C’était la maison que Nicolas Flamel avait bâtie, où il était mort vers 1417, et qui, toujours déserte depuis lors, commençait déjà à tomber en ruine ; tant les hermétiques et les souffleurs de tous les pays en avaient usé les murs, rien qu’en y gravant leurs noms. Quelques voisins même affirmaient avoir vu une fois, par un soupirail, l’archidiacre Claude creusant, remuant et bêchant la terre dans ces deux caves, dont les jambes étrières avaient été barbouillées de vers et d’hiéroglyphes sans nombre par Nicolas Flamel lui-même. On