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me fait horreur ! Oui, elle me fait horreur ! Tu sais, Maffio, cela est toujours ainsi ; il n’y a pas moyen d’être indifférent pour une femme qui nous aime. Il faut l’aimer ou la haïr. Et comment aimer celle-là ? Il arrive aussi que, plus on est persécuté par l’amour de ces sortes de femmes, plus on les hait. Celle-ci m’obsède, m’investit, m’assiége. Par où ai-je pu mériter l’amour d’une Lucrèce Borgia ? Cela n’est-il pas une honte et une calamité ? Depuis cette nuit où vous m’avez dit son nom d’une façon si éclatante, vous ne sauriez croire à quel point la pensée de cette femme scélérate m’est odieuse. Autrefois je ne voyais Lucrèce Borgia que de loin, à travers mille intervalles, comme un fantôme terrible debout sur toute l’Italie, comme le spectre de tout le monde. Maintenant ce spectre est mon spectre à moi ; il vient s’asseoir à mon chevet ; il m’aime, ce spectre, et veut se coucher dans mon lit ! Par ma mère, c’est épouvantable ! Ah ! Maffio ! Elle a tué Monsieur De Gravina, elle a tué ton frère ! Hé bien, ton frère, je le remplacerai près de toi, et je le vengerai près d’elle ! -voilà donc son exécrable palais ! Palais de la luxure, palais de la trahison, palais de l’assassinat, palais de l’adultère, palais de l’inceste, palais de tous les crimes, palais de Lucrèce Borgia ! Oh ! La marque d’infamie que je ne puis lui mettre au front à cette femme, je veux la mettre au moins au front de son palais !