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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

irréligion éclatait presque sans retenue. Un hasard l’ayant conduit à un sermon sur l’enfer du révérend Jaquemin Hérode, sermon magnifique rempli d’un bout à l’autre de textes sacrés prouvant les peines éternelles, les supplices, les tourments, les damnations, les châtiments inexorables, les brûlements sans fin, les malédictions inextinguibles, les colères de la toute-puissance, les fureurs célestes, les vengeances divines, choses incontestables, on l’entendit, en sortant avec un des fidèles, dire doucement : — Voyez-vous, moi, j’ai une drôle d’idée. Je m’imagine que Dieu est bon.

Ce levain d’athéisme lui venait de son séjour en France.

Quoique guernesiais, et assez pur sang, on l’appelait dans l’île « le français », à cause de son esprit improper. Lui-même ne s’en cachait point, il était imprégné d’idées subversives. Son acharnement de faire ce bateau à vapeur, ce Devil-Boat, l’avait bien prouvé. Il disait : J’ai tété 89. Ce n’est point là un bon lait.

Du reste, des contre-sens, il en faisait. Il est très difficile de rester entier dans les petits pays. En France, garder les apparences, en Angleterre, être respectable, la vie tranquille est à ce prix. Être respectable, cela implique une foule d’observances, depuis le dimanche bien sanctifié jusqu’à la cravate bien mise. « Ne pas se faire montrer au doigt », voilà encore une loi terrible. Être montré au doigt, c’est le diminutif de l’anathème. Les petites villes, marais de commères, excellent dans cette malignité isolante, qui est la malédiction vue par le petit bout de la lorgnette. Les plus vaillants redoutent ce raca. On affronte la mitraille, on affronte l’ouragan, on recule devant Mme Pimbêche. Mess Lethierry