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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

mouillés, cargues sur vergues, hunes capelées, et sans fanaux. On apercevait au fond quelques barques au radoub, à sec dans le carénage. Grosses coques démâtées et sabordées, dressant au-dessus de leur bordage troué de claires-voies les pointes courbes de leur membrure dénudée, assez semblables à des scarabées morts couchés sur le dos, pattes en l’air.

Gilliatt, sitôt le goulet franchi, avait examiné le port et le quai. Il n’y avait de lumière nulle part, pas plus aux Bravées qu’ailleurs. Il n’y avait point de passants, excepté peut-être quelqu’un, un homme, qui venait d’entrer au presbytère ou d’en sortir. Et encore n’était-on pas sûr que ce fût une personne, la nuit estompant tout ce qu’elle dessine et le clair de lune ne faisant jamais rien que d’indécis. La distance s’ajoutait à l’obscurité. Le presbytère d’alors était situé de l’autre côté du port, sur un emplacement où est construite aujourd’hui une cale ouverte.

Gilliatt avait silencieusement accosté les Bravées, et avait amarré la panse à l’anneau de la Durande sous la fenêtre de mess Lethierry.

Puis il avait sauté par-dessus le bordage et pris terre.

Gilliatt, laissant derrière lui la panse à quai, tourna la maison, longea une ruette, puis une autre, ne regarda même pas l’embranchement de sentier qui menait au Bû de la Rue, et au bout de quelques minutes, s’arrêta dans ce recoin de muraille où il y avait une mauve sauvage à fleurs roses en juin, du houx, du lierre et des orties. C’est de là que, caché sous les ronces, assis sur une pierre, bien des fois, dans les jours d’été, et pendant de longues heures et pendant des mois entiers, il avait contemplé, par-dessus le mur