Page:Hugo - Les Misérables Tome I (1890).djvu/60

Cette page a été validée par deux contributeurs.
60
Les Misérables. ― Fantine.

À je ne sais quelle cérémonie demi-officielle, le comte *** (ce sénateur) et M. Myriel durent dîner chez le préfet. Au dessert, le sénateur, un peu égayé, quoique toujours digne, s’écria :

— Parbleu, monsieur l’évêque, causons. Un sénateur et un évêque se regardent difficilement sans cligner de l’œil. Nous sommes deux augures. Je vais vous faire un aveu : j’ai ma philosophie.

— Et vous avez raison, répondit l’évêque. Comme on fait sa philosophie on se couche. Vous êtes sur le lit de pourpre, monsieur le sénateur.

Le sénateur, encouragé, reprit :

— Soyons bons enfants.

— Bons diables même, dit l’évêque.

— Je vous déclare, repartit le sénateur, que le marquis d’Argens, Pyrrhon, Hobbes et M. Naigeon ne sont pas des maroufles. J’ai dans ma bibliothèque tous mes philosophes dorés sur tranche.

— Comme vous-même, monsieur le comte, interrompit l’évêque.

Le sénateur poursuivit :

— Je hais Diderot ; c’est un idéologue, un déclamateur et un révolutionnaire, au fond croyant en Dieu et plus bigot que Voltaire. Voltaire s’est moqué de Needham, et il a eu tort ; car les anguilles de Needham prouvent que Dieu est inutile. Une goutte de vinaigre dans une cuillerée de pâte de farine supplée le fiat lux. Supposez la goutte plus grosse et la cuillerée plus grande, vous avez le monde. L’homme, c’est l’anguille. Alors à quoi bon le Père éternel ? Monsieur