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comme qui parlerait du tison et point de la flamme. Ce manuscrit de quinze pages lui révélait brusquement et doucement tout l’amour, la douleur, la destinée, la vie, l’éternité, le commencement, la fin. C’était comme une main qui se serait ouverte et lui aurait jeté subitement une poignée de rayons. Elle sentait dans ces quelques lignes une nature passionnée, ardente, généreuse, honnête, une volonté sacrée, une immense douleur et un espoir immense, un cœur serré, une extase épanouie. Qu’était-ce que ce manuscrit ? Une lettre. Lettre sans adresse, sans nom, sans date, sans signature, pressante et désintéressée, énigme composée de vérités, message d’amour fait pour être apporté par un ange et lu par une vierge, rendez-vous donné hors de la terre, billet doux d’un fantôme à une ombre. C’était un absent tranquille et accablé qui semblait prêt à se réfugier dans la mort et qui envoyait à l’absente le secret de la destinée, la clef de la vie, l’amour. Cela avait été écrit le pied dans le tombeau et le doigt dans le ciel. Ces lignes, tombées une à une sur le papier, étaient ce qu’on pourrait appeler des gouttes d’âme.

Maintenant ces pages, de qui pouvaient-elles venir ? qui pouvait les avoir écrites ?

Cosette n’hésita pas une minute. Un seul homme.

Lui !

Le jour s’était refait dans son esprit. Tout avait reparu. Elle éprouvait une joie inouïe et une angoisse profonde. C’était lui ! lui qui lui écrivait ! lui qui était là ! lui dont le bras avait passé à travers cette grille ! Pendant qu’elle l’oubliait, il l’avait retrouvée ! Mais est-ce qu’elle l’avait oublié ?