Page:Hugo - Les Misérables Tome II (1890).djvu/253

Cette page a été validée par deux contributeurs.

des peuples, au roulement de ces puissantes machines, au souffle de ces monstrueux chevaux de la civilisation qui mangent du charbon et vomissent du feu, la terre pleine de germes tremble et s’ouvre pour engloutir les anciennes demeures des hommes et laisser sortir les nouvelles. Les vieilles maisons croulent, les maisons neuves montent.

Depuis que la gare du railway d’Orléans a envahi les terrains de la Salpêtrière, les antiques rues étroites qui avoisinent les fossés Saint-Victor et le Jardin des Plantes s’ébranlent, violemment traversées trois ou quatre fois chaque jour par ces courants de diligences, de fiacres et d’omnibus qui, dans un temps donné, refoulent les maisons à droite et à gauche ; car il y a des choses bizarres à énoncer qui sont rigoureusement exactes, et de même qu’il est vrai de dire que dans les grandes villes le soleil fait végéter et croître les façades des maisons au midi, il est certain que le passage fréquent des voitures élargit les rues. Les symptômes d’une vie nouvelle sont évidents. Dans ce vieux quartier provincial, aux recoins les plus sauvages, le pavé se montre, les trottoirs commencent à ramper et à s’allonger, même là où il n’y a pas encore de passants. Un matin, matin mémorable, en juillet 1843, on y vit tout à coup fumer les marmites noires du bitume ; ce jour-là on put dire que la civilisation était arrivée rue de l’Ourcine et que Paris était entré dans le faubourg Saint-Marceau.