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de la cire rouge ; c’était un gourdin, et cela semblait une canne.

Il y a peu de passants sur ce boulevard, surtout l’hiver. Cet homme, sans affectation pourtant, paraissait les éviter plutôt que les chercher.

À cette époque le roi Louis XVIII allait presque tous les jours à Choisy-le-Roi. C’était une de ses promenades favorites. Vers deux heures, presque invariablement, on voyait la voiture et la cavalcade royale passer ventre à terre sur le boulevard de l’Hôpital.

Cela tenait lieu de montre et d’horloge aux pauvresses du quartier qui disaient : — Il est deux heures, le voilà qui s’en retourne aux Tuileries.

Et les uns accouraient, et les autres se rangeaient ; car un roi qui passe, c’est toujours un tumulte. Du reste l’apparition et la disparition de Louis XVIII faisaient un certain effet dans les rues de Paris. Cela était rapide, mais, majestueux. Ce roi impotent avait le goût du grand galop ; ne pouvant marcher, il voulait courir ; ce cul-de-jatte se fût fait volontiers traîner par l’éclair. Il passait, pacifique et sévère, au milieu des sabres nus. Sa berline massive, toute dorée, avec de grosses branches de lys peintes sur les panneaux, roulait bruyamment. À peine avait-on le temps d’y jeter un coup d’œil. On voyait dans l’angle du fond à droite, sur des coussins capitonnés de satin blanc, une face large, ferme et vermeille, un front frais poudré à l’oiseau royal, un œil fier, dur et fin, un sourire de lettré, deux grosses épaulettes à torsades flottantes sur un habit bourgeois, la toison d’or, la croix de Saint-Louis, la croix de la