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était épaisse, sa bonté était bête. Elle était tenace et molle. Épouse, elle était infidèle et fidèle, ayant des favoris auxquels elle livrait son cœur, et un consort auquel elle gardait son lit. Chrétienne, elle était hérétique et bigote. Elle avait une beauté, le cou robuste d’une Niobé. Le reste de sa personne était mal réussi. Elle était gauchement coquette, et honnêtement. Sa peau était blanche et fine, elle la montrait beaucoup. C’est d’elle que venait la mode du collier de grosses perles serré au cou. Elle avait le front étroit, les lèvres sensuelles, les joues charnues, l’œil gros, la vue basse. Sa myopie s’étendait à son esprit. À part çà et là un éclat de jovialité, presque aussi pesante que sa colère, elle vivait dans une sorte de gronderie taciturne et de silence grognon. Il lui échappait des mots qu’il fallait deviner. C’était un mélange de la bonne femme et de la méchante diablesse. Elle aimait l’inattendu, ce qui est profondément féminin. Anne était un échantillon à peine dégrossi de l’Ève universelle. À cette ébauche était échu ce hasard, le trône. Elle buvait. Son mari était un danois, de race.