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lées ainsi ; il avait vieilli dans cette fidélité à la république morte. Aussi était-il couvert du ridicule qui s’attache naturellement à cette sorte d’enfantillage.

Il s’était retiré en Suisse. Il habitait une espèce de haute masure au bord du lac de Genève. Il s’était choisi cette demeure dans le plus âpre recoin du lac, entre Chillon où est le cachot de Bonnivard, et Vevey où est le tombeau de Ludlow. Les Alpes sévères, pleines de crépuscules, de souffles et de nuées, l’enveloppaient ; et il vivait là, perdu dans ces grandes ténèbres qui tombent des montagnes. Il était rare qu’un passant le rencontrât. Cet homme était hors de son pays, presque hors de son siècle. En ce moment, pour ceux qui étaient au courant et qui connaissaient les affaires du temps, aucune résistance aux conjonctures n’était justifiable. L’Angleterre était heureuse ; une restauration est une réconciliation d’époux ; prince et nation ont cessé de faire lit à part ; rien de plus gracieux et de plus riant ; la Grande-Bretagne rayonnait ; avoir un roi, c’est beaucoup, mais de plus on avait un charmant roi ; Charles II était aimable, homme de plaisir et de