Page:Hugo - L'Homme qui rit, 1869, tome 1.djvu/146

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le glissement possible à toute minute, c’est ce précipice-là qui est la création.

Encore un instant, et l’enfant et le trépassé, la vie en ébauche et la vie en ruine, allaient se confondre dans le même effacement.

Le spectre eut l’air de le comprendre et de ne pas le vouloir. Tout à coup il se mit à remuer. On eût dit qu’il avertissait l’enfant. C’était une reprise de vent qui soufflait.

Rien d’étrange comme ce mort en mouvement.

Le cadavre au bout de la chaîne, poussé par le souffle invisible, prenait une attitude oblique, montait à gauche, puis retombait, remontait à droite, et retombait et remontait avec la lente et funèbre précision d’un battant. Va-et-vient farouche. On eût cru voir dans les ténèbres le balancier de l’horloge de l’éternité.

Cela dura quelque temps ainsi. L’enfant devant cette agitation du mort sentait un réveil, et, à travers son refroidissement, avait assez nettement peur. La chaîne, à chaque oscillation, grinçait avec une régularité hideuse. Elle avait l’air de reprendre haleine, puis recommençait. Ce grincement imitait un chant de cigale.