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Je suis pour Cicéron et je suis pour Gracchus ;
Il suffit pour me faire indulgent, doux et sombre,
Que je voie une main suppliante dans l’ombre ;
Faible, à ceux qui sont forts j’ose jeter le gant.
Je crie : Ayez pitié ! Donc je suis un brigand.

Dehors ce monstre ! il est chez nous ! Il a l’audace
De se croire chez lui ! d’habiter cette place,
Ce quartier, ce logis, de payer les impôts,
Et de penser qu’il peut y dormir en repos !
Mais s’il reste, l’État court des périls, en somme.
Il faut bien vite mettre à la porte cet homme !

Je suis un scélérat. C’est une trahison,
Quand tout le monde est fou, d’invoquer la raison.
Je suis un malfaiteur. Faut-il qu’on vous le prouve ?
Comment ! si je voyais dans les dents de la louve
Un agneau, je voudrais l’en arracher ! Comment !
Je crois au droit d’asile, au peuple, au Dieu clément !
Le clergé s’épouvante et le sénat frissonne.
Horreur ! quoi ! j’ai pour loi de n’égorger personne !
Quoi ! cet homme n’est pas aux vengeances fougueux !
Il n’a point de colère et de haine, ce gueux !
Oui, l’accusation, je le confesse, est vraie.
Je voudrais dans le blé ne sarcler que l’ivraie ;
Je préfère à la foudre un rayon dans le ciel ;
Pour moi la plaie est mal guérie avec du fiel,
Et la fraternité c’est la grande justice.