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DEPUIS L’EXIL. — PARIS.

Levons-nous ! et donnons à Sedan pour réplique
L’Europe en liberté ! — J’attends la république !
J’attends l’emportement de tout le genre humain !
Tant qu’à ce siècle auguste on barre le chemin,
Tant que la Prusse tient prisonnière la France,
Penser est un affront, vivre est une souffrance.
Je sens, comme Isaïe insurgé pour Sion,
Gronder le profond vers de l’indignation,
Et la colère en moi n’est pas plus épuisable
Que le flot dans la mer immense et que le sable
Dans l’orageux désert remué par les vents.

Ce que j’attends ? J’attends que les os soient vivants !
Je suis spectre, et je rêve, et la cendre me couvre,
Et j’écoute ; et j’attends que le sépulcre s’ouvre.
J’attends que dans les cœurs il s’élève des voix,
Que sous les conquérants s’écroulent les pavois,
Et qu’à l’extrémité du malheur, du désastre,
De l’ombre et de la honte, on voie un lever d’astre !

Jusqu’à cet instant-là, gardons superbement,
Ô peuple, la fureur de notre abaissement,
Et que tout l’alimente et que tout l’exaspère.
Étant petit, j’ai vu quelqu’un de grand, mon père.
Je m’en souviens ; c’était un soldat, rien de plus,
Mais il avait mêlé son âme aux fiers reflux,
Aux revanches, aux cris de guerre, aux nobles fêtes,
Et l’éclair de son sabre était dans nos tempêtes.
Oh ! je ne vous veux pas dissimuler l’ennui,
À vous, fameux hier, d’être obscurs aujourd’hui,
Ô nos soldats, lutteurs infortunés, phalange
Qu’illumina jadis la gloire sans mélange ;
L’étranger à cette heure, hélas ! héros trahis,
Marche sur votre histoire et sur votre pays ;