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NOTES.

ont fait vibrer tous les cœurs français et véritablement humains. Mais vos collègues avaient revêtu leurs poitrines de la triple cuirasse du poëte latin ; sous prétexte de politique, ils sont demeurés sourds à la voix de l’humanité. Souvent trop d’habileté nuit, car, en étouffant celle-ci, ils ont compromis celle-là.

Dans la question de l’amnistie, les intérêts de la politique et de l’humanité sont les mêmes. Qu’importe que le sénat n’ait point voulu prendre leur défense ? Il a cru étouffer la question en la rejetant, il n’a réussi qu’à lui donner une impulsion plus vive, qu’à l’imposer aux méditations de tous. Les deux Chambres ont rejeté la cause de l’amnistie, de l’humanité, de la justice ; le pays la prend en main, et il faudra bien que le pays finisse par avoir raison de toutes les fausses peurs, de toutes les mauvaises volontés, de tous les calculs égoïstes.

Maître, la France ne se faisait pas d’illusion ; elle savait que l’amnistie était condamnée d’avance et qu’elle se heurterait à un parti pris ; elle savait que les puissants du jour ne consentiraient pas à ouvrir les portes de la patrie à ces milliers de malheureux qui expient, depuis cinq années, loin du sol natal, le crime de s’être laissé égarer un moment après les souffrances et les privations du siége et du bombardement, après avoir défendu et sauvé l’honneur national compromis par… d’autres. Cela était prévu, la France n’avait aucune illusion ; elle n’applaudit qu’avec plus d’attendrissement et d’enthousiasme à votre patriotisme, à votre courage civique. En vous lisant, elle a cru entendre la voix de la Patrie désolée qui pleure l’exil de ses enfants ; elle a cru entendre la voix de l’Humanité faisant appel à l’union des cœurs, à la fraternité des membres d’une même famille. Et, quant à la page éloquente, digne des plus belles des Châtiments, où vous prenez au collet le sinistre aventurier de Boulogne et de Décembre, le démoralisateur de la France, le lâche et le traître de Sedan, pour le flétrir et le condamner, nous avons cru entendre la sentence vengeresse de l’impartiale Histoire.

Maître, un groupe maçonnique de Toulouse, après avoir lu votre splendide discours — tellement irréfutable que les complices eux-mêmes de l’assassin des boulevards, vos collègues au sénat, hélas ! sont demeurés muets et cloués à leurs fauteuils, — vous fait part de son enthousiasme et de sa vénération, et vous dit : Maître, la France démocratique — c’est-à dire la fille de la Révolution de 1789, celle qui travaille, celle qui pense, celle qui est humaine et qui veut chasser jusqu’au souvenir de nos discordes — est avec vous ; votre saisissant et admirable langage a été l’expression fidèle des sentiments de son cœur et de sa volonté inébranlable. La cause de l’amnistie a été perdue devant le parlement, elle a été gagnée devant l’opinion publique.

Pour les francs-maçons, au nom desquels je parle, pour la France