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DEPUIS L’EXIL. — PARIS.

plus humbles et des plus malheureux. Il vous appelait le grand médecin de l’humanité. C’est pourquoi je vous adresse ma prière.

Un navire va partir de Saint-Brieuc le 1er mars prochain pour la Nouvelle-Calédonie, contenant tous prisonniers politiques, et mon mari en fait partie. Jugez de ma douleur. Si je le suis, comme c’est mon devoir, je laisse mon père et ma mère sans ressources, trop vieux pour gagner leur vie ; je suis leur seul soutien, puisqu’il n’est plus là.

Au nom de votre petite Jeanne, que vous aimez tant, je vous implore ; faites entendre votre grande voix pour empêcher que ce dernier départ ait lieu.

Depuis cinq ans, ne devrait-il pas y avoir un pardon, après tout ce que nous avons souffert ?

Pardonnez ma lettre, monsieur, la main me tremble en pensant que j’ose vous écrire, vous si illustre, moi si humble. Je ne suis qu’une pauvre ouvrière, mais je vous sais si bon ! et je sais que ma lettre trouvera le chemin de votre cœur, car je vous écris avec mes larmes, non seulement pour moi, mais aussi pour tous les malheureux qui souffrent de ma douleur. Si Dieu voulait que par votre généreuse intervention vous puissiez les sauver de cette affreuse mer qui doit les emporter loin de leur patrie !

J’espère, car je crois en vous.

Agréez, monsieur, l’expression de ma vive reconnaissance.

Celle qui vous honore et qui vous bénit,

Louise Simbozel,
rue Leregrattier, 2 (île Saint-Louis).

M. Victor Hugo a répondu :

Paris, 2 février 1876.

Ne désespérez pas, madame. L’amnistie approche. En attendant, je ferai tous mes efforts pour empêcher ce fatal départ du 1er mars. Comptez sur moi.

Agréez, madame, l’hommage de mon respect,

Victor Hugo.

Informations prises, et un départ de condamnés politiques devant en effet avoir lieu le 1er mars, M. Victor Hugo a écrit au président de la république la lettre qui suit :